Balthazar est Bandersnatch.

Bandersntach entre les arbres, Bandersnatch court sur l'herbe. La fierté au corps et au cœur d'avoir retrouvé son entièreté. Il veut la lui montrer, lui montrer à lui.

Lui qu'on a pas vu depuis ce soir là, ce fameux soir.

On en rêve encore, on ne sait ce qui est réel. On a juste un sentiment au fond qui brûle. On s'y accroche avec terreur. Parce qu'on se rappelle aussi des mots de Juliette, qui un jour a promis de lui arracher ce à quoi il tenait.

Bandersnatch seul devant la tour vide.

Il y a trop d'odeurs qui ne sont pas Susan dans cette tour. Les battues sont passées par là. Grondement de la bête. Il n'ose imaginé l'état du gardien, lui qui par et pour cette tour. Par et pour l'horloge.

Bandersnatch repart, traque l'odeur du sable chaud.

Au bord du lagon des sirènes, tornades de vent, bourrasques par dizaines. On les connaît tes explosions aériennes maintenant. On sait le vent capricieux quand tu es perdu.

Bandersnatch s'avance sur la plage.

Il est trois heures, pile à temps pour la balade. Lentement, doucement, il s'avance, une panthère, un loup, un chien. Peu importe. Il fait du bruit dans les feuilles, ne pas t'effrayer. Tu es le seul qu'on ne veut pas effrayer.

Retourne toi.

Bandersnatch couché sur la plage.

Son regard jaune te fixe Susan, sa queue traîne avec indolence dans le sable frais. Des dizaines, des centaines de sentiments se battent là, maintenant, tout de suite. L'envie de t'embrasser, la crainte d'être rejeté, la terreur de t'effrayer, la fierté d'être enfin soi face à toi.

Viens Susan, apprivoise le Bandersnatch.

Ouragan et tempête dans tes yeux.

Qui sont les fous qui osent à ce point faire vibrer tes fondations ? Qui sont les fous qui osent t'approcher ? Bandersnatch possessif, Bandersnatch sauvage et rêve de te voir sourire comme au temps où on ne se déchirait pas tant.

(du temps où on n'aimait pas tant ?)

À genoux dans le sable, le visage offert au ciel, comme un ange déchu contemplant le royaume dont il a été banni. C'est ta tranquillité qu'on a ébréchée c'est ça ?

Les yeux dans les yeux.
Bête humaine.
Tempête.

Bandersnatch s'approche lentement.

Ses griffes s'enfoncent dans le sable, douceur dangereuse. Il s'efforce, le monstre de ne pas te faire peur. Les yeux dans les yeux. Ils sont jaunes, pupille verticale, féline et bestiale. D'habitude, ils sont bleus, bleus comme le ciel, bleus comme la tempête. Les reconnais-tu ? Toi qui les as si souvent contemplés ?

Peut-être pas.
Ton monde semble trop flou aujourd'hui.
On déchirerait bien les responsables.

Mais pas aujourd'hui.

Les yeux dans les yeux, pose son museau contre ton épaule. Gros chat veut des caresses, gros chat se couche à tes pieds, la tête sur tes cuisses. Parle Susan, le monde écoute, parle Susan, Balthazar écoute.

(pitié n'ai pas peur, pitié ne crie pas)

C'est un moment suspendu. C'est intense. Il est fier le Bandersnatch d'être enfin complet grâce à toi.

Il a l'intime conviction que c'est cette nuit, cette fameuse nuit. Ces aveux déchirants qu'on ose encore effleurer des doigts (des griffes). Au fond, libéré le Bandersnatch.

Aimé malgré la monstruosité, ne craint plus de revêtir son apparence de cauchemar. Celle qui autrefois régnait sur Wonderland alors que le dragon se vautrait aux pieds de Juliette.

Il s'est réveillé grâce à toi le Bandersnatch.

Regards entrecroisés et on se perd dans ton univers. On doute encore d'en faire partie tu sais.

Susan tout contre lui, les doigts de Susan dans sa fourrure. Ferme les yeux doucement et un ronronnement sourd monte de sa poitrine. On en a rêvé sans le savoir de cet instant.

Susan enfin parle et ses mots comme des perles douces qui dévalent. Non. N'ai pas peur. Rouvre les yeux, récupère les tiens. Intense.

Les doigts qui se tendent vers les griffes. Balthazar se tend. Rentre les griffes, rentre les armes. L'idée même d'un jour t'effleurer avec elles le terrifie.

Gronde du bout des crocs, le dos rond contre tes doigts (caresse, encore, s'il te plait).

- Pas ... peur.

C'est dur de parler. On ne sait plus trop bien.

- Balthazar.

Susan.
C'est moi.

On a jamais ressenti une telle paix. Ou alors, on ne s'en rappelle pas.

On a oublié, enseveli sous la torture, enseveli par le faiblesse de cette enveloppe bien trop humaine.

Mais le sable léger de la plage se rappelle que toi, Susan, tu n'es pas en paix. On a senti les bourrasques comme on sent tes mains se perdre dans la fourrure.

Allongé dans le sable, le regard doré perdu sur ta peau pâle. Les grains de soleil qui s'y accrochent ressemblent à de la poussière de fée. De la vraie poussière de fée, pas celle qu'on s'enfile dans le nez.

Ronronne sous tes doigts.
Les côtes immenses qui vibrent sous les muscles.
De Banderageux à Banderbestial.

Ça lui, tout lui va venant de toi.
Sa longue queue vient s'enrouler autour de ses jambes avec possessivité. Rassuré au plus profond de ses cellules, la bête a des airs de paix.

Le Bandersnatch et la paix.
Il n'y a que dans ta bouche que ça sonne vrai, que c'est vrai.

Monstre de guerre sanglant.
Ailleurs qu'entre tes bras, on est que ça.

- T-toi ?

On remerciera la tendresse plus tard.
L'important, ce sont les ouragans qu'on a vu, c'est la tempête qu'on discerne dans tes yeux qui nous importe plus que tout.

Mauvais parleur, il se contentera d'écouter et ceux qui t'ont fait du mal le regretteront.

Parle-moi de toi Susan.
Encore et toujours, pour mille éternités encore.

On voit ton sourire vers le ciel comme une tâche d'encre qui s'étend. Un sourire parmi tous ceux qu'on a pu voir, celui-là semble si loin.

Perdu par delà les paysages infinis, perdu dans ce monde qui semble toujours nous échapper. Savoir ne signifie rien ici. Tout se moque de toi, et là-haut, ils rient sûrement de ce qui nous arrive.

Et dans ta voix, on entend comme un écho perdu. Un écho de doute. De la colère aussi peut-être. Balthazar ne connait pas vraiment les émotions, il n'a eu que la colère et la haine pendant si longtemps, les blessures comme seule relation (pardon Anaël). Alors, il ne saisit pas très bien ce qui émane de toi.

Mais ton rire, ton rire n'est pas le rire de Susan, ce n'est pas le bon.

Redresse les oreilles Bandersnatch. Ses yeux jaunes fixent le gardien avec intensité. Une porte. Il s'est passé tant et tant de choses ce jour-là. Balthazar redevenu Bandersnatch, Opal mort, les Reines en paix.

Rien ne va dans le monde.
Mais surtout, rien ne va pour toi.

Au diable les royaumes, les hommes et leur quête d'un daron indigne disparu, au diable la paix factice et les créateurs moqueurs.

S'il suffisait de détruire cette porte, alors le sauvage le ferait. Mais c'est au fond, au fond de toi, qu'il y a des vagues. Des vagues dans ta mer d'huile.

Coup de museau sur ta main, réclame des caresses (derrière les oreilles, c'est doux) et surtout, ce regard qui ne te lâche pas.

- Time ?

Parce que c'était lui qu'on cherchait. Et même si Balthazar s'en fiche de lui, ce n'est pas ton cas. Il t'a donné ta tour, et on est entré dans cette tour.

Même le Bandersnatch sait qu'il faut attendre sur la chaise à l'entrée. Il les aurait découpés en rondelles s'il avait été là.

Mais il n'était pas là.
Parce qu'il n'est jamais là pour toi quand il faut.

Alors ce soir, avec quelques mots, on essaye.
D'être là.

Les doigts qui courent sur sa fourrure, se glissent entre les poils, frictionnent doucement sa peau. Bandersnatch ronronne, ses yeux de soleil fixés sur toi.

Toi dont il détaille chaque frisson de ton visage, toi dont il apprend par cœur l'odeur. Le collier à son cou n'existe plus. Et pourtant, il le pèse si fort, si fort quand il est bestial comme ça. L'homme connaissait la captivité, la bête la découvre.

Museau contre nez. Il est énorme, le Bandersnatch face à toi. Et pourtant, pourtant, c'est toi qui parait grand, avec tous ces ouragans, tout ce chaos autour de toi, au dedans de toi.

Grondement doux.
Oui le mordre, mais surtout, le jeter à tes pieds pour que tu puisses savoir pourquoi pour que se calment les ouragans.
Et ensuite, l'échanger à Juliette pour sa liberté.
Et peut-être libérer Noël.

Il te regarde avec de grands yeux le Bandersnatch. Il ne comprend pas ces histoires de mondes. Ces histoires de versions du monde, qui semblent s'appartenir. Mais il ne dit rien, accepte pour une fois, de laisser à tes mots le loisir de n'être qu'à toi.

Ferme les yeux, laisse ton corps se lover contre le sien, au rythme d'un ronronnement incontrôlé. Oublie le monde Susan, comme j'ai pu oublier ma captivité au creux de ta tour, dans mes bras, abandonne tes tourments.

Ferme les yeux lui aussi, sous le soleil de la fin de journée. Respiration calme, apaisée et au fil du souffle, refluent lentement les poils et la bestialité.

Balthazar tient Susan tout contre lui, front contre front.
Absents du monde.

J'ai respiré au creux de ton cou mes plus beaux moments d'éternité. Bête humaine liée les yeux clos contre la douceur de ta peau.

Lentement homme de peau sur le sable, étendu et apaisé.

S'endort le Bandersnatch avec la certitude que son rêve ne s'est pas arrêté après 21h22. Et ne rêve pas, pas vraiment parce que ce qu'il avait sous les yeux juste avant suffit.

Sommeil vide de sang.
Le rouge rouge rouge qui s'efface et le corps chaud dans le sable doux.

Doucement ses yeux s'ouvrent et captent en face de lui, l'instant présent dans tes yeux clairs. C'est comme la mer mais pas tout à fait, changeant et doux mais un peu violet, un peu galaxie. Un peu infini.

Sourire et vient du bout des lèvres chercher son nom dans ta bouche.

Osmose, il l'oublie lui, ce nom. Dans ta bouche, il sonne vrai. Comme une promesse, celle d'arriver un jour bientôt à rebâtir une identité.

Nouvelle mais pas tout à fait. Comme un reflet de côté.

Glisse une main contre ta joue, une mèche noire qui se perd entre ses doigts et ne s'éloigner que d'un souffle, les yeux encore clos.

- Et toi, tu es mieux. Ça fait plaisir.