CARACTÈRE

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Vanille, c’est l’art d’être détestable sans être détestée.
C’est l’arrogance et le narcissisme poussés dans leurs propres retranchements.

C’est une personne qui parle d’elle, encore d’elle, toujours d’elle et de temps en temps des autres. Une personne qui semble vivre une existence rythmée comme du papier à musique, mais qui en réalité, improvise comme un soliste en pleine transe. Funambule, elle joue l’équilibriste sur le fil de la sagesse, suspendu au-dessus du gouffre de la folie.

Parce qu’elle est médecin, tout devrait être organisé, méthodique, minutieux ? Jamais de la vie. Après avoir été emprisonné par les responsabilités dans sa cage dorée, Vanille se rebelle ; faisant fi des conséquences.

Mais n’allez pas croire que son métier est une corvée dont elle souhaite se débarrasser par tous les moyens. Bien au contraire. Même si elle l’exerçait en premier lieu pour faire plaisir à papa et maman, elle n’en reste pas moins passionnée par ce qu’elle fait.

Qu’elle aime que les autres dépendent d’elle, qu’ils soient satisfaits de ses soins, au fond, quelle importance ? On peut dire bien des choses négatives sur elle, son comportement invivable ; auprès de ses patients, elle n’est pas loin de faire l’unanimité. Est-ce que ses charmes aident ? Je laisse libre cours à votre imagination pour répondre à cette question.

Oui, Vanille se rebelle, et tout cela grâce à une chose, une seule : son don. Qu’il fut difficile d’en acquérir la maitrise ; ne pouvant même pas compter sur l’aide de sa propre famille, sous prétexte qu’elle n’avait pas de temps à perdre avec ça, la blonde travailla d’arrache-pied pour enfin être capable de s’en servir à volonté. Et elle ne perd pas une seule occasion pour en exhiber son contrôle ; parfois à tort et à travers… mais il s’agit là de son jouet préféré, il ne faut pas lui en vouloir.

Sauf qu’user et abuser de cette capacité a un coût ; qu’elle commence à payer petit à petit. Bien sûr, quel plaisir de revêtir sa peau d’enfant, sa peau d’adolescente, la porte ouverte à une ribambelle de facéties en tout genre. Vivre et revivre sa jeunesse, son enfance, encore et encore.

Peu à peu, elle en perd ses repères. Viendra un jour où elle ne saura plus qui elle est vraiment. Une adulte dans un corps d’enfant ? Une enfant dans un corps d’adulte ? Viendra un jour où le champ des possibles se raccourcira jusqu’à devenir néant. L’inconvénient de pouvoir devenir ce qu’elle veut, c'est qu’elle en finira par ne plus rien être du tout.

Et ça, elle s’en fiche.
Vanille est bien trop prétentieuse pour admettre ses faiblesses.



Elle apparait dans leur champ de vision, vêtue de rouge et noir. Longue robe au décolleté un peu osé, mais elle prétextera qu’avant de regarder les yeux, fenêtres de l’âme, c’est déjà pas mal de voir s’il y a du monde au balcon. Elle aime qu’on la regarde, sous toutes les coutures. Elle aime attiser l’envie, la jalousie ; marquer les esprits.

Mystérieuse impression de déjà-vu chez les convives de cette soirée mondaine. Les formes, le facies, tout semble leur rappeler quelqu’un, mais impossible de savoir qui exactement. L’effet escompté lorsqu’on arbore la forme d’un souvenir, un vestige d’une époque révolue pour eux, pas pour elle. Oui, elle peut choisir de revêtir cette forme. Ce n’est pas une illusion, mais un fragment du passé qui décide de refaire surface.

D’un pas lent, confiant, elle se dirige vers le pupitre ; démonstration ostentatoire d’un orgueil qu’elle a dans la peau, qu’elle porte sur son visage, elle sème le doute dans les esprits. Elle voit des messes-basses, les regards posés sur elle, l’attention qu’elle glane la rendraient presque ivre de vanité. Mais elle sait pertinemment que les regards ne sont pas posés sur elle que pour son joli minois. Non, ils le sont parce qu’elle surplombe la foule, conséquence de son arrivée sur l’estrade.

D’un signe de tête, elle remercia poliment la maitresse de cérémonie ; un simple geste qui en disait toutefois long sur elle. Vanille était élégante, bienséante, mais surtout, reconnaissante envers celle qui lui donnait l’opportunité de s’exprimer, l’opportunité de régler ses comptes.

Quant à l’apparence qu’elle arborait… ce n’était pas un caprice, ni même un jeu auquel elle jouait. Non, elle était même ô combien sérieuse dans ses intentions. Ce n’était pas l’envie de lui rappeler les beaux jours du début de son passage à l’âge adulte qui la poussait à se montrer sous ce souvenir, cette forme. Une petite jeunette aux formes déjà affriolantes, ignorant alors tout de la noirceur de certaines âmes.

Aujourd’hui elle le savait.
Elle avait été témoin du pouvoir néfaste de la richesse.
Son innocence, il y a bien longtemps qu’elle lui avait été arrachée.
Elle se présentait, femme sous la forme d’une jouvencelle, avide de vengeance.

Devant le pupitre, toujours dans le silence le plus total, elle profite de cet instant d’accalmie pour apaiser son esprit. Elle voulait avoir les idées claires ; pour rien au monde elle ne voulait manquer les réactions qu’elle allait susciter chez certains invités. Pour se motiver, elle baladait même son regard dans leur direction, presque comme si elle cherchait une excuse pour venir les annihiler un à un.

Dans un petit raclement de gorge pour s’éclaircir la voix, la blonde ferma les yeux l’espace de quelques secondes, organisant au mieux le chaos de ses pensées, puis prit la parole, menton levé, sourire espiègle collé au visage ; elle était de retour.

─ Je tiens à vous remercier d’être venus si nombreux, pour honorer la mémoire de mes parents : Armand et Saphira Tir Ná Lia. Les chuchotements s’intensifièrent alors. Enfin, tout le monde la reconnaissait. L’héritière refaisait surface. Je me présente devant vous, sous une forme qui doit faire remonter certains souvenirs à la surface. Les concernés se reconnaîtront. Et je tiens également à les remercier solennellement. Merci de tout cœur… de m’avoir montré vos vrais visages. Mes parents au-delà de leur fortune durement acquise étaient des personnes fondamentalement bonnes. Moi, naïve, je pensais qu’il en était de même pour leur entourage. J’avais tort.

Elle marqua une pause, laissa la petite foule digérer ses premiers mots, puis engagea les hostilités :
─ Oui, mes parents étaient formidables… moi non. Ils ont engendré un monstre. Je n’ai pas leur bonté, ni leur patience, ni même leur clémence. Jamais je n’oublie ni ne pardonne. Encore moins aux charognards qui ont tenté de se repaître, profitant de la jouvencelle sans défense que j’étais, qui arbore cette enveloppe aujourd’hui. Je me présente devant vous ainsi que devant eux, pour remercier ceux qui m’ont détruite au même titre que ceux qui m’ont aidé à me reconstruire. Quant aux vautours dans cette pièce… j’en fais la promesse, je vais vous pourrir votre existence. Sur ce, bonne soirée à tous.

Elle pivota de quelques degrés, se dirigea vers un endroit à l’abri des regards, puis, pleine de rage, elle donna un violent coup de pied dans un sofa à côté d’elle. Une voix lui parvint alors aux oreilles :

─ Tu es sûre que c’est ce que tu veux Vanille ? Tu peux tout aussi bien faire marche arrière et abandonner tout ça ? Tu vas vivre un enfer si tu continues sur cette voie-là.
Un rire sarcastique émana de la blonde. Normalement, elle aurait menti sur ses intentions, mais la personne qui lui parlait méritait la vérité :
─ J’ai déjà abandonné. Je ne peux plus vivre dans l’ombre de mes parents, j’emprunte un nouveau chemin.
─ Mais alors à quoi ça rime tout ça ?! Pourquoi tu te donnes en spectacle comme ça ?!
─ Parce que je voulais poser mes yeux sur eux. Les regarder une dernière fois et repartir la tête haute ! Je ne serai pas prisonnière de mon passé… mais il fallait que je fasse ça. Je ne te demande pas de comprendre, c’est au-dessus de tes moyens.
─ Vanille…
─ Merci pour ton aide.
─ Tu comptes faire quoi maintenant ?
─ Maintenant ? Haha. Me bourrer la gueule, me défoncer, baiser. Bref, profiter de mes nouvelles jeunesses, avant de devenir poussière.

Menton levé, visage confiant.
Elle quitta les lieux sans jamais se retourner.
Sa vraie vie l’attendait maintenant : les patients, la routine, puis… l’ivresse de la jouvence.