Jeunesse éternelle.
Si seulement. Avec la blonde, nous parlons plutôt d’une jeunesse prolongée. Loin d’être immortelle, elle ne vieillissait pas de la même façon que tout le monde. Ou en tout cas, c’est ce qu’elle aimerait faire croire au monde. La vérité était plus complexe. Vanille subissait les mêmes altérations du temps que chaque natif de Wonderland ; mais pouvait prolonger un peu le plaisir.

Lorsqu’elle le désirait, elle pouvait être fillette, jouvencelle ou de retour dans sa forme normale. Son corps étant son jouet préféré ; elle s’amusait avec, profitant d’une impunité qu’elle subira peut-être un jour. Mais tant qu’elle était autorisée à puiser dans cette fontaine de jouvence qu’était son don, elle y revenait volontiers.

Et une fois encore, facétieuse, incontrôlable, elle arborait sa peau d’adolescente, tenue légère, petite couette sur le côté ; malicieuse blondinette, prête à faire tourner le monde en bourrique. Les bras ballants, elle se baladait en plein Central Park, cherchait du regard une bêtise de plus à faire.

Les regards justement ; nombreux posés sur elle, comme si le monde entier était au courant que Vanille était là pour se complaire de ses méfaits. Comme si le monde savait la malice qui l’habitait à cet instant. Comme si tout le monde était prévenu qu’elle n’était là que pour semer le trouble.

Et sous cette forme… combien elle en avait semé ? Se rappelait alors aux bons souvenirs d’une âme qu’elle avait perdue de vus depuis longtemps. Peut-être voulait-elle forcer le destin en arborant la dernière forme sous laquelle il l’avait vu ? Comme si par magie ; sous cette peau de midinette, elle allait l’invoquer.

Comme elle aimerait être une magicienne, claquer des doigts pour faire apparaitre un quoi ou un qui à sa guise. Wonderland ne lui avait donné que la chance de revivre sa jeunesse à sa guise, c’était peut-être déjà trop. N’avait-elle pas suffisamment été gâtée par mère Nature ? Par son statut ? C’est sans doute ce qu’elle dira ; reconnaissant dans le même temps que cela n’est jamais assez.

Jamais.
Elle voulait toujours plus.
Petite princesse pourrie gâtée qu’elle était.

Poser le princier fessier sur un banc. Menton reposant sur ses paumes, elles-mêmes soutenues par ses coudes aux cuisses. Lasse, ennuyée, elle observait le monde par son prisme d’arrogance et de suffisance.

Se mit à penser à voix haute :
─ À quoi bon être une princesse si mon prince n’est pas là pour me divertir ?  Si je tentais de l’invoquer, est-ce que ça marchera ? Abracadabra ? Patati patatra ? Ce monde est assez cruel pour laisser à l’abandon sa plus belle création ? Soupir long et lancinant, s’échappa des lèvres de cette divine créature à la chevelure d’or.

Quelle cruauté vraiment.
Une princesse sans son prince.
On aura tout vu.

L’univers l’avait finalement écouté.
Un claquement de doigts attira son attention, la fit sursauter dans le même temps. La tête pivota de quelques degrés et elle remarqua alors sa présence. Le prince sautillant sur le banc , à l’opposé de sa position.

Annonça sa venue rocambolesque le prince, dans un visage qui respirait la fierté. Probablement une légère malice d’avoir fait sursauter la princesse, toujours est-il qu’il avait réussi son entrée dramatique. Cela aurait été moins frappant s’il s’était viandé comme une merde par terre. Mais il n’en fut rien.

Il connaissait son nom le prince ; évidemment qu’il connaissait son nom. Comment ne pas le connaître ? Non pas pour les raisons que vous croyez. Il s’avérait que le prince et la princesse n’étaient pas des étrangers ; que ce soit pour l’un comme pour l’autre. Les deux têtes blondes avaient déjà eu l’occasion de se côtoyer. Dans un passé qui semblait presque lointain pour l’adolescente… l’eau a coulé sous les ponts depuis.

Très vite, le sourire étira son visage.
Petite grimace mutine qui déforma le faciès, accueillit son prince en montrant ses belles dents aux canines légèrement plus pointues que la normale. Rare malformation corporelle de la princesse. Que voulez-vous… chaque rose a son épine. La perfection n’existait malheureusement pas. Quel intérêt sinon ? Où serait le sel de la vie ? On se le demande.

Son prince, sûr de son coup, demanda ce que la princesse pensait de lui. Elle répondit sans ambages, sans une seconde d’hésitation. Dans son verbe toujours aussi acéré :

— Oh je sais pas… délicatement, elle se rapprocha de lui, faisant glisser son petit popotin le long du banc, lentement mais sûrement ; elle reprit : j’en pense qu’il m’a manqué ce prince. J’en pense que j’aurai bien eu besoin de lui à de nombreuses occasions. Difficile de dire si elle lui en voulait, tellement le sourire s’étirait d’une oreille à l’autre. Et pendant qu’elle continuait de glisser inexorablement vers le blondinet et sa tête d’ange, elle continua de le provoquer : mais tout ça c’est bien gentil, bla-bla-bla. Mais mon cher prince, tu n’aurais pas oublié une chose primordiale ?

Quoi donc ?
On se le demande…

Enfin elle arrivait à sa hauteur. Entre ses mains elle saisit le visage de son prince, pinçant délicatement une joue. Les saphirs toisèrent le blondinet. Vanille, toujours prête à faire la moindre bêtise, en profitait pour embêter cet acolyte, cet ami, qui lui avait tant manqué. Gardait sa contenance du mieux qu’elle le pouvait, ne voulait pas être submerger par une émotion qui gâcherait ce moment enivrant qu’elle vivait.

Elle n’en oubliait pas une chose.
Répondre à sa propre question :

— Mon beau prince oublie la chose la plus importante. Lorsqu’il retrouve sa princesse, il la cajole, la dorlote, la complimente. Bref, il lui fait comprendre qu’elle est unique avant de se jeter des fleurs. Exigeante la princesse. Elle reprit en papillonnant des paupières : et je n’ai toujours rien entendu…

Et elle attendait la blondinette. D’un clin d’œil facétieux, elle encourageait son beau prince à respecter l’étiquette… lorsqu’une beauté pareille l’exigeait, il valait mieux s’y plier.

Si belle en effet.
Si bien qu’on tombait aisément sous son charme.
Si bien qu’on faisait de son mieux pour être dans ses bonnes grâces
Le prince savait trouver les mots pour faire plaisir à sa princesse.

Pourtant ses mots étaient tellement légers. Comme des plumes, tout semblait s’envoler au moindre coup de vent, même leur sens et leur impact. Parfois Vanille se demandait si elle devait essayer de démêler le vrai du faux avec Lucy. Elle se demandait s’il était sincère ; sans jamais avoir eu de raisons de douter pourtant. Mais cette légèreté avec laquelle il s’exprimait… pour une adolescente c’était de la musique pour les oreilles, pour une adulte, rapidement on décelait les fausses notes.

Mais elle était prête à pardonner la blondinette. Elle était prête à oublier les impairs de son prince, n’oubliant pas que son absence n’était pas que de son fait, mais aussi celui de ses géniteurs, refusant catégoriquement que sa présence parasite la vie de la blonde, réglée comme du papier à musique. Et Lucy donnait du sien pour lui faire oublier tout cela ; complimentait la belle du velours de ses paroles, caressant son ego avec malice.

Le détester ? Non.
Lui en vouloir ? Oui.
Lui pardonner ? Peut-être… oui.

L’éclat de leurs rires à l’unisson semblait être la preuve que la princesse était magnanime. D’un sourire badin, elle caressait sa propre chevelure d’or, acquiesçant aux compliments de son prince aux mots qui cajolent. Elle répondit à ces éloges, le rassurant sur un point :

— Je t’en veux un peu mon prince, mais je ne te déteste pas pour autant. Je regrette simplement d’avoir été privée du délice de ta présence. Ça me laisse un arrière-goût amer dans la bouche, ni plus ni moins. Franche, directe ; princesse adolescente ou adulte, tenait toujours le même langage. Son verbe n’avait jamais été faux toujours vrai. Jamais elle n’hésitait à balancer la vérité ; qu’elle soit blessante ou pas, ce n’était pas de son ressort.

Et il avait raison le prince. Dorloter sa princesse pourquoi pas ? Mais à la faveur de l’intimité, mieux, bien mieux. L’un comme l’autre, c’était un spectacle qu’il ne souhaitait pas partager avec autrui. L’un comme l’autre, ils savaient : certaines choses devaient rester secrètes. Vanille pourtant, n’avait aucune véritable pudeur, sans hésiter, sans craindre les conséquences elle montrait au monde qui elle était et ce qu’elle voulait.

Et il râlait le prince. S’imaginait que sa princesse préférait rattraper le temps perdu plutôt que d’exiger d’être complimentée. Lorsqu’il posa sa tête sur ses genoux, les yeux rivés sur elle, celle-ci l’ignorait presque, préférant balader ses saphirs devant elle. N’oubliait pas sa présence cependant, caressait la chevelure du blondinet d’un geste doux, presque volupté.

— Ce n’est pas ce que je veux mon cher, c’est ce que tu dois faire. C’est la moindre des choses. Surtout après une telle absence, justifiée ou pas.

Tiqua la curiosité du prince.
Il demanda à sa belle, ce qu’elle avait enduré.
Et celle-ci lui répondit sans détour, sans embellir.
Vérité vierge du moindre artifice.
Vérité crue.

— Le monde a profité de ma présence aussi éphémère qu’elle soit pour certains. J’ai perdu mes parents peu après avoir commencé ma carrière de médecin. Tant bien que mal, ils avaient tenté de me préserver, de me protéger du monde et de sa cruauté. Lorsque je les ai perdus… j’ai compris à quel point les gens pouvaient être des immondices. J’aurais bien eu besoin d’un preux chevalier pour venir me sauver. Mais non. Tu n’étais pas là. Alors je me suis débrouillée toute seule. Malgré son apparence, la blondinette parlait comme une adulte. Comme celle qu’elle était. Elle savait jouer la candide, l’ingénue. Savait tenir le rôle de la princesse, de la demoiselle en détresse. Mais elle savait aussi être honnête lorsqu’elle le devait. La tête baissée, enfin les saphirs contemplaient l’intéressé.

D’un geste, elle se pencha, approchant dangereusement son visage de celui de son prince. La main caressa doucement la peau de son visage, pendant qu’elle frotta malicieusement le bout de son nez contre le sien, avant de reprendre :

— Tu m’as manqué mon prince. Tu n’as pas idée. J’aurais vraiment eu besoin de toi contre toutes ces charognes. Tu vas devoir te rattraper. J’espère que tu as les épaules pour ça.

Du bout des lippes, elle déposa un baiser sur son front.
Malgré tout, elle était heureuse de le revoir.
Heureuse de revivre une nouvelle jeunesse, avec lui.

La question était légitime, mais arracha tout de même un sourire à l’adolescente. Oui ; elle était devenue doctoresse la blondinette. Soigner les maux, sa vocation ; pour les siens, elle n’avait pas réellement de solutions, mais au moins elle en donnait l’illusion.

Le blondinet, toujours égal à lui-même réfugia son visage contre le ventre de sa princesse et s’en alla faire sa petite tirade. Vanille écouta avec attention et fit profiter à son interlocuteur de quelques vibrations engendrées par son rire amusé. Notamment lorsqu’il prétexta que la demoiselle jouerait le rôle de l’adolescente en détresse, sauvée par son preux chevalier.

Jusqu’à présent, ça avait toujours été le contraire. Jusqu’à présent, elle se débrouillait majoritairement seule, trop fière pour demander de l’aide à qui que ce soit. Fierté démesurée, jamais écorchée malgré le tranchant des coups qui lui ont été portés. Aujourd’hui encore cependant elle se demandait comme elle avait pu se relever après la façon dont elle avait été mise à terre.

Sans doute que sa vanité l’empêchait tout simplement d’être abattue, pour une raison ou pour une autre, elle trouvait toujours le moyen de renaître de ses cendres. Mais aujourd’hui elle n’était plus obligée d’être seule… n’était plus obligée d’être séparée de son prince ; ses parents n’étaient plus là pour gérer ses fréquentations.

Paradoxalement… ça ne la rendait pas plus heureuse pour autant.
Plongée dans le flot de ses pensées, la blondinette en fut extirpée par la remarque de son prince à la chevelure dorée. Elle se questionnait alors : l’avait-elle déjà embrassé ? Avait-elle déjà franchi cette limite avec lui ? Était-ce vraiment une limite à ne pas dépasser ? Qui sait, elle n’avait jamais essayé. Poussée par la curiosité, elle demanda, candide :

─ Ah oui ? Tu l’as seulement cru ou bien tu l’aurais voulu ? Ce n’est pas anodin ni anormal pour un prince que d’embrasser sa princesse. Nous sommes même censés être heureux et avoir beaucoup d’enfants, parait-il. Faut pas pousser le bouchon trop loin non plus ? Dans un éclat de rire, la blondinette bascula la tête en arrière, appuyant sa nuque sur le sommet du banc.

Elle se demandait alors, quel effet ça lui ferait ?
Sceller ses lippes aux siennes ?
Pourquoi pas ?

─ Surtout que… dans une nouvelle bascule, cette fois le visage vint se rapprocher de nouveau de celui du blondinet ; usa de ses mains pour le forcer à la contempler, avant de reprendre : il n’y a plus personne qui peut nous en empêcher maintenant. Tu sais… je n’en ai peut-être pas l’air, mais j’ai bien grandi. Ce que tu as sous les yeux, ce n’est qu’une forme parmi les autres que je peux arborer. Mais nous verrons cela plus tard. Dis-moi mon prince… caressa alors son visage, avant d’enrouler une mèche de la chevelure de son compagnon pour jouer avec ; pour finalement conclure : tu ne t’es jamais demandé… quel goût avait les lèvres de ta princesse ? Jamais été curieux à ce sujet ?

Sourire carnassier aux lèvres.
Princesse, mais aussi prédatrice.
Emprisonnait peu à peu sa proie dans ses filets.
D’adolescente, Vanille n’en avait que la forme.
N’oublions pas de le rappeler.

Elle était toujours là : la légèreté de ses mots.
Vanille n’en ressentait jamais véritablement le poids, Lucy s’exprimait toujours comme ça, noyait le poisson à chaque fois qu’il se retrouvait devant un sujet délicat. La blonde avait plus l’impression qu’il essayait d’éviter à tout prix de lui donner une réponse claire plutôt que de la froisser par une réponse qui pouvait ne pas lui plaire. Il ne s’en rendait peut-être pas compte… mais il n’avait en face de lui qu’un souvenir. Dans sa forme la plus crédible certes, mais un souvenir quand même.

Et la blondinette faisait de son mieux pour raviver cette flamme qu’elle imaginait brûler en son être pour lui. Et si ? Et si cette flamme n’était en réalité que cette amitié sans faille qu’elle ressentait malgré son absence pendant tant de temps ? La doctoresse avait beau réfléchir, elle n’avait pas l’impression de ressentir quelque chose d’autre qu’un amour presque fraternel pour lui. Pas l’amour qu’elle envisageait, mais peut-être celui dont elle avait réellement besoin ; et lui aussi ?

Par ses mots il lui faisait comprendre cela, inconsciemment ou pas, Lucy semblait vouloir garder cette amitié intacte plutôt que de se compliquer la vie avec des sentiments qui n’étaient peut-être pas les siens. Et Vanille en tant qu’adulte devait respecter cela.

Alors elle joua le jeu.
Comme elle savait le faire.
Interprétant parfaitement son rôle.

— Allons allons, jamais je ne forcerai mon prince à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire. Si tu veux m’embrasser, fais-le. Mais je ne suis pas cruelle au point d’aller contre ta volonté. Et soudain, après une nouvelle tirade du blond, celui-ci sortit une petite sucrerie sur laquelle bifurqua le regard de la blondinette. Lucy était peut-être un expert pour détourner l’attention, mais comment refuser une petite attention comme celle-ci ? La blondinette, sans ambages, se saisit de la sucrerie sans faire de commentaire, si ce n’est un simple : merci ; prononcé du bout des lèvres. De ses mêmes lippes, elle remercia de nouveau son prince d’un baiser sur la joue, évitant soigneusement ses lèvres.

Dévora la petite attention de son prince, dans un sourire énigmatique. D’innombrables pensées se bousculèrent dans la tête de la blondinette. C’était rarement le cas, mais pour une fois Vanille ne savait pas trop quoi faire des sentiments qui l’habitaient ; pire encore, elle ne savait pas les identifier, mettre un mot sur ce qu’elle ressentait. Un magma d’émotions qui se confondaient les unes dans les autres sans qu’aucune ne prît le dessus sur une autre. Joie, nostalgie, incompréhension, même son cerveau à elle avait du mal à identifier le morceau que jouait son cœur ; ressemblait plus à une cacophonie qu’autre chose.

Alors elle arrêta tout simplement d’essayer de mettre un mot sur l’ineffable. Tout ce qu’elle savait, ce sur quoi elle se raccrochait : elle se sentait bien. Avait-elle réellement besoin d’autre chose ?

— Tu sais toujours comment me faire plaisir mon prince. Toujours. Dit-elle après avoir dégusté sa sucrerie. Dis-moi… une question me brûle les lèvres depuis quelques instants. Pendant que moi je souffrais pour assouvir les ambitions de mes parents, toi, qu’est-ce que tu faisais pendant tout ce temps ? Ça t’arrivait de penser à moi, d’avoir envie de me revoir ?

Il était rare pour elle de détourner l’attention de son joli minois. Rare pour elle de s’intéresser à quelqu’un d’autre qu’elle-même. Rare certes… mais pas impossible pour autant. Dans un sens, cela en disait long sur l’affection qu’elle lui portait. Affection oui, c’était le mot. L’autre semblait irréaliste et irréalisable alors elle préférait ne pas y penser.

Elle écoutait sans broncher l’adolescente.
Se rappelait alors aux bons souvenirs du blondinet pendant son récit. Elle se souvint alors du duo qu’ils formaient, des quatre-cents coups qu’ils avaient faits ensemble. Dans un sens, Lucy était peut-être même celui qui l’avait initié à la malice. Il avait un don qu’elle ne possédait pas, cette unique manière d’embobiner les autres avec son verbe. Si bien que parfois la blondinette se demandait si elle-même avait été victime de cette capacité.

Et alors pensa-t-elle ?
Quelle importance au final ? Elle n’en avait pas souffert. De son absence en revanche, c’était une autre histoire. Oui bien sûr, au départ cela avait été dur, de ne plus pouvoir compter sur sa présence, de ne plus profiter de l’ivresse de leurs facéties. Mais Vanille aurait dû s’en rendre compte. L’ivresse ne dure qu’un temps, l’ivresse est éphémère, un petit bonheur qui finit toujours par prendre fin. On voulait toujours le prolonger, prêt à tous les artifices pour l’étendre encore et encore et encore. Mais au final, peu importe la force qu’on exerçait sur la ficelle, à force de tirer on finissait par en voir le bout.

C’était inéluctable.
Et elle était heureuse Vanille, heureuse de savoir qu’elle n’avait pas été oubliée par son prince. Même par intermittences, si parfois son doux visage apparaissait dans l’esprit de Lucy, ça lui suffisait presque. Elle était arrogante la blonde, imbue de sa personne, sans aucun doute. Mais elle était aussi lucide, elle n’était pas le nombril du monde bien qu’elle aimait parfois prétendre le contraire. Son prince la ramenait à la réalité.  

Et alors qu’elle pensait divaguer dans ses pensées de nouveau, qu’elle ne fût pas sa surprise lorsque le blondinet lui posa une question qui la prit totalement de court. Si bien qu’elle dût réfléchir un long moment avant de pouvoir lui répondre. Elle tenta même une pirouette pour gagner du temps :

─ Ooooh mais serais-tu jaloux mon prince ? Tu as peur que quelqu’un vienne m’arracher de ton étreinte ? Voyons voir… elle semblait chercher la princesse. Semblait vouloir lui trouver un mensonge crédible pour une raison qu’elle ignorait tout bonnement. Méritait-il vraiment d’être dupé, même drapé délicatement des plus beaux ornements, une tromperie restait une tromperie. Le gâteau pouvait être parfaitement décoré, si le goût était infect, quel intérêt ?

Alors elle réfléchit la blondinette.
Puis elle se montra honnête.

─ L’amour c’est… c’est un bien grand mot. Des aventures… oui j’en ai eu. D’innombrables même. Pour moi, les femmes et les hommes ne sont que des plaisirs à la chaîne plutôt que de véritables conquêtes. Disons que j’ai du mal à croire en l’amour, alors je préfère ne pas y penser. En vérité, je pense ne pas le mériter… ne pas en être digne. Ou peut-être que je n’en veux pas ? Je… je ne sais pas. Dit-elle dans un petit hoquet de rire. Réellement elle était perdue.

Ce sentiment, elle ne le comprenait vraisemblablement pas.
Elle ne l’avait ressenti que pour ses parents.
Quant à ce qu’elle éprouvait pour Lucy… c’était bien trop ambigu.

Alors elle tenta une nouvelle pirouette pour détourner l’attention de son indécision :
─ Et toi alors ? Sachant qu’on peut tout se dire, pourquoi tu n’en profiterais pas pour vider ton sac ?
Ça l’arrangeait bien surtout…  

De plus en plus elle y pensait Vanille.
De plus en plus elle comprenait que ses sentiments ; cette affection à l’égard de son prince ne ressemblait en rien à aucune autre aventure qu’elle avait eue. Il n’était point question d’attirance lascive, pas même l’ombre d’une tentative d’ailleurs. Si elle devait mettre un mot, une notion sur ce qu’elle pensait ressentir, elle dirait sans doute que cela ressemble à un amour fraternel qu’elle n’avait jamais expérimenté.

La blonde avait toujours été seule, ni frère ni sœur, elle ne savait pas ce qu’était la fraternité et pourtant, c’est ce qui ressemblait le plus à ses sentiments pour lui. Elle se chamaillait avec lui, pouvait parfois lui en vouloir de son absence et ses facéties ; mais elle était heureuse en sa présence, se sentait bien, aimée. Peut-être pas de la façon qu’elle l’envisageait au départ, persuadée que Lucy était son prince, son preux chevalier venu la délivrer des dangers de l’ennui. Mais peut-être qu’elle avait tort.

Peut-être que le blondinet était tout simplement le frère de la princesse. Il n’en restait pas moins prince… mais elle devait l’aimer différemment. Et Vanille ne savait pas quoi en penser. Caressa du bout de son pouce, la main posée sur sa joue, comme pour la rassurer, lui faire prendre conscience de la présence rassurante et parfois enivrante de son compagnon de mesquinerie.

Il était là.
Et Vanille l’en remerciait.
Sans dire un mot, pas une syllabe, mais le regard et l’attitude ne trompaient pas.
Elle hurla sans voix un simple : merci ; qui en disait long.

Mais comme elle ne pouvait pas s’empêcher d’être taquine…
— Oui je sais que tu es là, je te vois. Voilà, comme ça c’est fait, on en parle plus. Et la question du blondinet frappa la blonde en plein cœur, si bien qu’elle eut l’impression d’être transpercée de toute part. Elle était légitime pourtant, presque innocente si l’on y réfléchissait bien. Mais pour l’adolescente, elle avait un poids, un impact tout particulier. Elle rétorqua : ça ne devrait pas être débile pourtant. Dire « je t’aime », ça devrait être précieux. Des mots qu’on devrait garder près du cœur… le problème c’est leur tranchant à double face. L’une, comme du velours, un petit duvet qui te caresse, l’autre, comme une lame de rasoir, qui peut te transpercer si tu ne fais pas attention.

Elle détestait être ainsi.
Sentimentale comme ça.
Mais la créature n’était pas que cynique, parfois elle était sincère ; presque candide.

Lucy eut vite fait de l’arracher à ses pensées nauséabondes, d’une petite pointe d’humour dont il avait le secret, il mit pourtant le doigt sur quelque chose d’important ; un sujet que les deux jeunes gens feraient mieux d’éluder. La réciprocité de leurs sentiments et surtout… la nature même de ceux-ci.

Mais au final, Vanille avait-elle vraiment besoin d’essayer de les comprendre ? N’avait-elle pas l’impression que cette légèreté était suffisante, qu’ils n’avaient de toute façon pas besoin de quoi que ce soit en plus ? Pourquoi alourdir une situation alors qu’avec lui, elle avait l’impression de flotter sur un nuage. Était-ce le fait de grandir qui frappait la blondinette de cette fatalité pesante de devoir absolument trouver le pourquoi du comment ? Déformation professionnelle.

Elle finit tout simplement par éclater de rire et s’abandonna à cette légèreté, caressant son être, petite plume dorée qui cajolait son cœur meurtri par cette indécision qui la blessait plus qu’autre chose.

— Tu auras toujours une place de choix dans mon cœur. Je veux que tu sois aux premières loges pour voir le bonheur sur mon visage, et je veux l’être également pour le voir sur le tien. Qu’est-ce que je ferais sans mon prince ? Je serais perdue. Je l’ai d’ailleurs été… mais heureusement, tu es là de nouveau. Je n’ai rien besoin de plus.

Et peut-être qu’elle tentait de se convaincre, peut-être qu’en répétant ces mots ses sentiments ambigus qui la faisait souffrir finiraient par disparaître. Ou bien peut-être qu’elle accepterait tout simplement que parfois… on ne peut pas avoir le contrôle sur tout. 

Prince et princesse.
Frère et sœur.
Amants.

Tout n’était pas toujours tout rose. Parfois ça se chamaillait à des degrés différents. Mais aussi et surtout, parfois ça n’était pas d’accord avec l’autre. Sans être capable de l’expliquer, ni même savoir si elle avait raison, Vanille avait cette désagréable sensation que le blondinet fulminait à l’intérieur. Une idée qui se baladait dans sa tête qu’il voulait libérer de la prison de ses lèvres.

Et puis vint le moment où ce fut trop pour lui. Sa pensée devait être partagée avec la princesse. Un petit signe d’agacement, langue qui tique, puis il accapara l’attention de la blonde ; théâtral interlocuteur, semblait vouloir que les saphirs de l’adolescente ne changent pas de cible. Difficile de lui résister lorsqu’il faisait preuve d’une telle insistance, alors la blonde ne lutta pas plus que de raison. Focalisa son attention sur lui et ce qu’il avait à dire.  

Et un nouveau désaccord qui laissa également la blonde dans une situation similaire à celle qu’elle avait provoquée auparavant. Elle-même fulminait et voulait couper la parole à son cher et tendre ami. Mais par respect pour lui, elle se tut bien que cela la démangea. Si bien que ses jambes s’agitèrent légèrement ; impatiente de répondre, de faire valoir ses idées, sa vision des choses.

Mais aussi et surtout, le plus important, sa propre expérience.
Comment pouvait-il dire que les mots ne sont que des mots ? Comment pouvait-il affirmer cela avec autant de confiance ? Vanille ne pouvait ni le comprendre ni acquiescer. Ce qu’elle entendait était en contradiction avec son vécu.

Et lorsqu’il termina sa tirade, la blondinette fulminante mit un point d’orgue à essayer de démanteler sa pensée :

─ Tu as beau dire… tu ne te rends peut-être pas compte de l’impact qu’ils peuvent avoir. Pourquoi tu tiens à séparer les mots des actes ? Le discours est un acte en lui-même. Les mots ne sortent pas de ta bouche par magie ; c’est un choix délibéré que tu fais. D’employer tel ou tel terme. Les mots ont un sens et un impact qui heurtent parfois autant voire plus que les actes. Elle soupira longuement, enfouit son visage dans ses mains, frottant celui-ci comme pour s’enlever une saleté imaginaire, avant de reprendre : tu n’étais pas là toi… quand les mots de ces charognes m’ont blessé, plus que n’importe quel couteau planté dans ma chair. Tu ne peux pas réaliser à quel point j’ai eu mal, j’avais l’impression qu’on retirait mon cœur de ma poitrine, sans anesthésie. Il n’y avait aucun chirurgien le scalpel à la main pourtant ?! Personne pour m’ouvrir la chair et en extirper mon palpitant. Et pourtant… c’est comme ça que je l’ai ressenti. Tu n’étais pas là, tu ne peux pas le savoir.

Et encore elle lui en voulait ; bien qu’il ne fût pas responsable du mal qu’on lui avait fait. Elle lui en voulait de ne pas avoir été là quand elle en eut le plus besoin. C’était injuste, elle le savait. Mais qui a dit que Vanille n’était qu’une créature de logique et de pragmatisme.

Les souvenirs, la douleur latente, elle se réveillait parfois pour chatouiller ses cicatrices, lui rappeler qu’elle était encore là et que jamais elle ne devait oublier. Toujours se remémorer le mal qu’on lui avait fait, pour ne plus jamais faire preuve d’autant de naïveté.

─ Excuse-moi… tu n’y es pour rien, je sais… je me suis emporté.

Mais elle avait été sincère. C’était le minimum avec lui, même si ça devait blesser, elle devait dire ce qu’elle pensait.