L'oiseau de malheur n'est pas prêteur. Lorsque la vérité a éclaté, sa colère a été immense, explosive, destructrice ; les murs ont tremblé sous les cris terribles de sa voix d'horreur, et pas un objet sur son passage n'a survécu à sa rage. L'ego blessé a hurlé sa peine – pourquoi elle ? Qu'on s'approprie sa possession était déjà criminel, mais que l'acte soit commis en son propre territoire par une traître intruse venue du Royaume d'Ivoire attisait une fureur aux affres du désespoir. Pourquoi elle ? À cette ennemie millénaire, elle ferait ravaler son impudence.

Dévorée par la rancœur, pétrie par le désir de vengeance, elle avait chevauché à dos de sombral jusqu'aux odieuses terres immaculées, plus que désireuse de confronter la fautive avant que celle-ci ne brave de nouveau les limites du Royaume de Cœur. On s'écartait sur son passage, on s'éparpillait comme une traînée d'insectes affolés à la vue de l'oiseau de mauvais augure, ou de sa terrible monture, ou peut-être de la rage palpable qui irradiait d'elle. Plus une once de patience ne subsistait, et elle aurait la tête de quiconque se mettrait entre elle et le Griffon.

Ce dernier se trouvait sur la grande place, que son entrée terrifiante vida en quelques instants, ne laissant les lieux qu'aux deux femmes et à leur haine séculaire.

Jubilee arque un sourcil, dévorée par une rage qui couve comme une tempête, et finit par faire rouler le nom abhorré sur sa langue en mettant pied à terre.



Elle fait face, emplie d'une fureur glaciale, le meurtre dans ses yeux incandescents, et articule avec la raideur de la colère :



Les dents se serrent, capables de faire craquer les os.

Le sobriquet manque de lui faire grincer des dents, déjà serrées à s'en briser – oh comme elle rêve de te faire ravaler cet irrespect, d'effacer cette odieuse nonchalance qui parsème ton visage détestable ... D'avoir ta tête, même ! Quelle satisfaction ce serait, même temporaire, de savoir cette langue calomnieuse réduite au silence ! La pensée est douce, mais la colère trop grande, et un grondement sourd roule dans sa gorge blanche, menaçant.



Une demi vérité seulement, car si les noms et les visages lui importent peu, elle considère avec le plus grand mépris cette facilité qui est la tienne de te laisser approcher par n'importe qui, sans distinction. Dans cette éternité qui vous lie, l'oiseau de malheur sélectionne soigneusement ses partenaires, ne se laisse pas toucher par la vermine – par ces moins que rien d'alices – et ne conçoit pas qu'on puisse refuser d'en faire de même.



Avec sa possession. C'est là toute la substance de sa fureur, qui trouve racine dans cette sensation d'appartenance maladive teintée de tendresse qu'elle nourrit pour Balthazar depuis des siècles. Qu'on lui ôte l'exclusivité de ses étreintes, de ses caresses, de sa hargne, de son agressivité, lui est intolérable. L'ego est meurtri, et ne laissera pas la faute impunie.

La question est goguenarde, là pour piquer, et pourtant pleine de vérité : l'oiseau noir n'est pas enclin à partager ses possessions, et le Bandersnatch est certainement sa plus précieuse. Elle te refuse le plaisir d'une réponse et se contente de fulminer, furieuse d'être percée à jour ainsi sans la moindre peine. C'est peut-être bien au nom du vice le plus vieux du monde qu'elle est venue te trouver, en effet, peut-être bien ce qui la rend folle de rage à l'idée d'avoir perdu l'exclusivité de la proximité. Pour son ennemie, de surcroît, pour ce volatile vulgaire aux allégeances traîtres ? Elle manque de grincer des dents. Ton choix se paiera, Balthazar, que tu le veuilles ou non.

elle manque de s'étrangler sur ce surnom ridicule. Exhalaison dédaigneuse.

Elle rumine, l'esprit mauvais. Il est parfaitement consentant. C'est bien là tout ce qui lui pose problème. Qu'il choisisse sciemment de porter ses affections sur sa némésis lui est intolérable. L'ego est blessé, et chacun des responsables est assuré de payer – foi d'Oiseau Jubjub. Un grognement agacé lui échappe.



On se raccroche à sa fierté, car combien de fois a-t-il promis, les souffles entremêlés, qu'elle était la meilleure de toutes ? Ou bien ça aussi, n'était-ce qu'un mensonge, un boniment servi à toutes ses partenaires dans le simple but de flatter ? Elle s'étouffe sur une exclamation outrée. Des conseils ? La rage au ventre, elle musèle le flot d'injures qui menace de franchir la barrière de ses lèvres noires, se refusant à te satisfaire. Ta désinvolture la rend folle de colère, et elle brûle de t'arracher le fruit des mains.



Désires-tu perdre la tête pour tes fautes, Griffon ?

Tes sourires suffisants sont insupportables à la rage qui la consume. Une pointe d'incrédulité, vicieuse, s'insinue dans son esprit devant l'aplomb avec lequel tu répliques. Parlez-vous seulement de la même personne ? Le glorieux Bandersnatch, se livrant de son propre accord à de telles gamineries ? Impossible. Elle fronce le nez, retenant ses lippes de se retrousser en une moue méprisante.



À ses yeux orgueilleux, il est honteux qu'une noble réincarnation, essence même de Wonderland, fasse preuve d'un tel comportement. L'ombre du doute qu'elle voit planer dans ton regard, en revanche, la satisfait : que la vérité te désarçonne donc. Elle n'invente rien, même si la rancœur commence à souffler à son oreille que le triste personnage sur lequel elle défend sa mainmise doit murmurer les mêmes propos à l'oreille de chacune de ses partenaires. Elle s'étouffe devant ta détestable assurance, et s'empresse de gronder :



Elle plisse des yeux devant l'insolence dont tu fais preuve, fâchée que ses menaces ne soient pas prises avec le sérieux qui leur incombe.

Triste démonstration de force qui se déploie entre vos âmes pleines de rancœur. La bataille repose sur les mots et toute offensive est bonne pour égratigner : les siècles n'ont rien ôté à l'essentielle inutilité de cette joute qui oppose les fiers volatiles de ce monde. L'attaque semble faire mouche, et les lèvres noires se retroussent lentement sur une série de dents pointues, satisfaites d'avoir su viser un point sensible. Que l'indignation t'étouffe, stupide Griffon.

À mesure que les esprits s'échauffent, tes ailes se déploient dans toute leur majesté, et c'est cette fois une ride agacée qui vient barrer son front. Il est digne de toi de rappeler aussi ostensiblement que tu possèdes ce qu'elle n'a pas, et même sans mot dire, le rappel fonctionne, attisant de son aiguillon amer une jalousie qu'elle se gardera bien de verbaliser.

L'insulte glisse sur sa souveraine bien-aimée et elle fulmine, plus insupportée encore que si on l'avait attaquée elle. La voix est basse et froide lorsqu'elle vocifère :



Elle fronce le nez, exhalant une exclamation dédaigneuse.



Sur sa poitrine enveloppée de noir, les bras viennent se croiser, résolus. Elle arque un sourcil et glisse une œillade vers sa monture, déjà lassée, avant de reprendre :



Et elle esquisse les quelques pas qui la séparent de son sombral, faisant courir une main pâle sur le flanc de l'animal qui commence à s'impatienter.

Autour de vous, la place s'est vidée sous les assauts de vos éclats de voix. Elle n'y prend pas réellement garde, toute à sa hargne, mais s'en serait-elle aperçue qu'elle aurait souri de faire ainsi reculer de crainte ces pièces qu'elle méprise, sujets indignes d'une usurpatrice dont la suffisance transpire dans l'orgueil de sa rivale. Celle-ci bavasse encore, d'un amusement piqué qui l'insupporte au plus haut point, et l'oiseau de malheur hausse un sourcil méprisant devant l'invective qui se trompe de cible.



Il est vrai, toutefois, qu'elle possède sur le Griffon l'avantage de l'âge. C'est elle que Mad et Chase ont conçue en première, et cela, toutes les bassesses du monde ne sauraient le lui enlever : c'est elle l'originale, l'aînée, tu n'as été créée qu'en pâle miroir afin que le Royaume d'Ivoire ne se sente pas lésé de ne pas posséder son propre oiseau messager. Forte de cette certitude, aucune de tes attaques ne se montreront capables de réellement l'atteindre, car elle n'y verra jamais que les jacasseries d'une cadette jalouse.



En vertu de quoi la Reine Blanche inspirerait-elle le respect de son peuple ? L'amour ? Quelle plaisanterie. À cette pensée, elle fronce le nez, et une grimace retrousse ses lèvres noires.



Mesquin, mais juste. Nulle réincarnation n'est sans savoir la facétie dont Time a infligé le Griffon pour son orgueil démesuré. Ce dernier s'illustre encore tandis qu'elle balaye les menaces de la main comme on le ferait avec un propos grossier, ne semblant que peu concernée par le poids qu'elles renferment. Le visage de l'oiseau noir se durcit, et la voix se fait sombre et sans appel.



Sur cette ultime menace, elle te tourne le dos et enfourche son sombral qui piaffait d'impatience. Te dominant depuis sa monture, elle te jette un dernier regard dédaigneux, une moue pleine de dégoût sur les lèvres.



D'un geste, elle fait virer son sombral sur le côté, prête à reprendre la direction du Royaume de Cœur.



Et sans attendre la moindre réponse ou réaction, elle éperonne sa monture et quitte les lieux avec cette terrifiante superbe qui n'appartient qu'à elle, laissant le Griffon sur la grand-place qui est désormais libre de se repeupler.