CARACTÈRE

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Tybalt Glaze n'a jamais aimé Noël, c'est pire depuis qu'il est coincé dans la boucle temporelle de Christmas Town. Quelle idée de se planquer là... Maintenant, il est coincé. Coincé dans un monde enneigé - et bordel qu'est-ce que c'est chiant, la neige - un monde sucré, chaud, réconfortant et doux, dans lequel les enfants sont heureux, parlent des cadeaux qu'ils ont hâte de recevoir, du pain d'épices qu'ils vont manger et des cookies qu'ils vont déposer sous le sapin pour ce bâtard de Père N...- on s'égare, on s'égare. Tybalt déteste Noël, c'est un fait.

Le second fait, c'est que tout est de sa faute, s'il en est arrivé là. C'est son enfer personnel, et il l'a mérité. Tybalt est lâche, il n'a pas assumé ses erreurs, il a préféré la fuite. Il préfère toujours la fuite, surtout si l'autre option est le conflit. C'est pas un non-violent pour autant, ça non, faut pas croire. Il a toujours tenu à faire la sale besogne lui-même, il y trouve même un certain plaisir, mais il sait reconnaître quand une situation est désespérée et un cas perdu. Actuellement, c'est lui, le cas perdu. Et ça, c'est le troisième fait.

La dernière chose à savoir sur Tybalt, la plus importante à savoir sur lui, c'est qu'il ne faudrait pas le cantonner au rôle ridicule dans lequel il s'est mis tout seul, comme un grand - parce que Tybalt est doué pour s'attirer des emmerdes sans l'aide de personne. Ce serait facile de ne voir en lui que le reflet d'un homme du passé qui a fait son temps, blasé par sa nouvelle vie, au bord de la crise de nerfs à force de devoir servir cet esclavagiste de Père Noël, dépassé par les événements, dépassé par la vie.  S'il y a un reflet, c'est qu'il y a quelque chose de l'autre côté du miroir. Il ne faut pas oublier, et c'est le piège parce que personne à part le Père Noël est au courant, il ne faut pas oublier de qui était Tybalt avant.

Tybalt n'est pas qu'un vieux pépé grognon avant l'âge qui vend des crèmes glacées et souhaite une bonne journée au client en tirant la gueule. Derrière ses sourires crispés, sa politesse de circonstance et son respect forcé, il y a de l'exaspération, oui, mais aussi de la résilience et beaucoup de frustration. Il y a de la déception et de la colère pour lui-même, il y a du mépris pour le chef de Christmas Town, il y a de la haine pour tous ces enfants innocents qui ignorent à quel point ils devraient être en danger. Il y a le mal qui se prend en patience.

À quoi reconnaît-on un monstre ? À son grognement ? À ses yeux rouges ? À ses cornes ? À sa peau bleue ? À ses canines aiguisées ? Non, non, vous savez bien, les enfants, qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture. L'habit ne fait pas le moine et les cornes ne font pas le monstre.

Tu t'es perdu, petit ? — Non... — Tu tombes bien, j'ai besoin d'aide.  — Pour quoi faire, m'sieur ? — Tu vois cette calèche ? Je vends des glaces. Je viens d'inventer de nouveaux parfums, mais j'ai personne pour les goûter. Tu veux m'aider ? — Maman  m'a dit de pas monter dans les calèches des inconnus. — Et elle a paaarfaitement raison ! Si tu m'attendais là, sur ce banc, pendant que je vais chercher quelques échantillons ? — Oh ! bah oui alors,  c'est d'accord ! — Brave gosse.

Comment différencier le monstre des honnêtes gens ? Par ses actes ? Non, ce monstre-là vend des glaces. Il pourrait tout aussi bien jardiner à Crims ou élever des poneys géants à Nulle-part. Non, voyez-vous ce qui fait de vous une honnête personne, ce ne sont pas vos honnêtes actes, ce sont vos honnêtes pensées. C'est comme un cadeau à Noël : c'est l'intention qui compte.

Eeet voilà tes glaces ! Vas-y, goûte ! Dis-moi tout ! C'est comment ?  — Sucré.  — Sans blague ?  — Vous avez pas goûté ?  — Non, les glaces, c'est pour les enfants, pas pour les grands.  — Ah ça oui, vous avez raison, m'sieur !  — T'es un marrant, toi. Je serai rapide. — Hein ? — Rien, rien. Mange ta glace, elle va fondre ! ... C'est bon ? — Oh oui, m'sieur, très bon ! — Tant mieux, tant mieux.

Vous demanderez alors : mais pourquoi ? Pourquoi  un acte si cruel ? Pourquoi des enfants ? Parfois, il n'y a pas de raison au mal. Le mal existe, tout simplement. Et s'il y a des raisons au mal, elles sont incompréhensibles pour les honnêtes gens.

Pourquoi vous me fixez comme ça, m'sieur ?  — Je crois que tu as envie d'une autre glace. — Oh ! Oui, j'ai envie d'une autre glace.  — C'est embêtant, ça, elles sont toutes dans la calèche. Je ne peux pas toutes les amener ici.  — Vous avez raison, m'sieur, vous pouvez pas toutes les amener ici... Son regard est vitreux. Il cligne des yeux. Tu viens avec moi, petit ? — Je viens avec vous... — C'est bien.

Si on lui demandait de justifier son choix, il ne saurait pas l'expliquer avec des mots. Les enfants sont si innocents, diriez-vous. Oh oui, gais, innocents et sans cœur. Imprévisibles. Chaotiques. Il n'y a rien de plus chaotique qu'un enfant. Planter sa lame dans le cœur d'un enfant, ce n'est pas tuer un innocent, c'est prendre le contrôle, posséder le chaos, et toute l'incertitude et l'imprévisibilité que cela ensuit.  Que faire de tout ce sang ? Que faire de ce corps inutile, sans vie ? Que faire du chaos que l'on vient de déchaîner ? Ouvrir les yeux, accepter l'évidence. Réaliser que rien n'est sous contrôle, embrasser le chaos, être.

Et ouvrir le congélateur.

Bah alors, qu'est-ce qu'il y a ? Ca y'est, il a compris. Son petit corps tremble. Il sait qu'il ne peut plus s'échapper. Il recule, mais il trébuche et tombe en arrière. C'est plus drôle... Vous me faites peur, m'sieur.  — Aaw.  Il se met à sa hauteur, les mains sur les genoux, un grand sourire sur le visage. Ta maman ne t'as jamais appris à ne pas parler aux inconnus ?

— Tybalt naît à Neverland. Il est fils unique. Son père travaille à la mairie
— Grosse victime à l'école, il se fait bully à cause de ses cornes et parce que son prénom est Jelly. Il n'a pas beaucoup d'amis et passe son temps dans les livres, à poser des questions qui ne devraient même pas lui traverser l'esprit à cet âge-là (par exemple: "est-ce que les alices peuvent mourir ?") Il déteste l'école et les enfants de son âge.
— Dès l'adolescence, il fait des petits boulots, certains pas très recommandables, notamment à Halloween Town. Jusqu'à un accident qui le pousse à "se ranger", en apparence. Il accepte que son père le pistonne pour entrer à la mairie.
— On remarque assez vite qu'il est plus discret qu'il en a l'air et que son pouvoir pourrait être plus utile que s'il reste préposé aux archives toute sa vie.
— Il a gardé des contacts à Halloween Town, c'est là-bas qu'on l'envoie pour commencer, très officieusement, à récolter des informations pour M. le maire.
— Il n'a pas de peine à convaincre les Dark Shadows qu'il peut être l'un des leurs. Là-bas, personne ne questionne ses passe-temps douteux.
— Le maire non plus, d'ailleurs, mais Tybalt évite de le contrarier. Son pouvoir est trop similaire au sien pour ne pas l'effrayer.
— Il compromet sa couverture très bêtement, c'est un message au maire qui se fait intercepter. Les facteurs, de nos jours, on peut plus leur faire confiance...
— Il échappe de peu aux représailles des Dark Shadows. Blessé, il réussit à fuir jusqu'à Christmas Town et décide de se cacher dans la première planque qu'il trouve.
— Manque de bol, c'était l'atelier du père noël.
— Dans son état c'est pas difficile de deviner d'où il sort, ce qu'il fuit et pourquoi il n'a pas simplement trouvé refuge à la mairie. Le père noël menace de le dénoncer.
— Maintenant, Tybalt vend des glaces.