Il avait beau se retourner dans tous les sens dans son lit, ses yeux refusaient obstinément de se fermer pour le laisser dormir un peu
c'est qu'il est confus, Elias, bien trop de choses s'étaient passés en si peu de temps : la fuite de Balthazar, d'abord ─ pouvait-on seulement appeler ça une fuite ?
il avait entendu bien des rumeurs sur sa disparition, l'état dans lequel il avait été retrouvé, mais une question demeurait en suspens
qu'est-ce qu'il s'était réellement passé ?
et ça, bien peu de monde était capable d'y répondre concrètement
si ce n'est le concerné lui-même
et Elias n'avait pas encore eu l'occasion de le lui demander
dans cette histoire il ne savait pas à qui il en voulait le plus ─ à Balthazar, pour s'être laissé faire ? à son agresseur, dont il n'avait pas l'identité ? à Romane, qui l'avait retrouvé ? à lui-même, pour son inaction ?

Et il y avait autre chose, aussi, qui l'empêchait de trouver le sommeil
Juliette
il avait beau essayer de ne pas y penser, à ce qu'il ressentait pour elle, à ce qu'ils avaient fait ; il avait beau essayer de refouler, ça revenait toujours
ça le tourmentait et il n'arrivait pas à se débarrasser de ces pensées qui ne cessent de le hanter

Alors il avait fini par abandonner : il s'était levé, s'était habillé simplement et était sorti dans les jardins, en espérant que l'air frais de la nuit vienne lui changer un peu les idées et lui faire trouver le sommeil. Au détour d'un virage, néanmoins, il aperçu une silhouette qu'il ne connaissait que trop bien : Balthazar, au milieu du chemin, bien mal en point
qu'est-ce qu'il fait ici ?
Alors il s'approche, Elias, s'arrête un instant devant toi, sans rien dire, te dévisageant simplement, posant une main sur sa hanche, avant de demander :

Ce n'est pas un endroit où se reposer, Bandersnatch. observe une pause et Qu'est-ce que vous faites ici ?

Il attend ta réponse, le regard toujours aussi froid, pendant que ses lèvres brûlent de te demander ce qu'il s'était passé ce jour-là
mais mieux valait, peut-être, poser une question à la fois

Indifférent à ton agressivité, indifférent à ton mécontentement, Elias reste là, ignorant royalement tous les signes que tu lui envoie ─ c'est qu'il avait l'habitude de tout ça, Elias, il avait fini par ne plus y faire attention tant c'était inhérent à ta manière d'être
Tu te redresses, et tes pupilles lui font comprendre pourquoi tu étais étalé au sol, plus misérable qu'à l'accoutumée, colère exacerbée, restes de repas non loin de l'épave qu'est ton corps
n'a pas le temps de soupirer, Elias, que déjà tu attaques ─ sourcils qui se froncent, regard qui se crispe, agacement palpable, c'est que tu n'avais pas perdu de temps ; par la même occasion, tu lui faisait en faisait gagner, puisqu'il n'aurait pas besoin d'aborder le sujet lui-même

Si vous n'aviez pas été aussi faible, Bandersnatch, nous n'en serions pas là réplique-t-il, regard non plus froid, mais glacial.

Toujours aussi provoquant, malgré la poudre dans le nez ─ admirerait presque ton entêtement à toujours vouloir avoir le dernier mot quelque que soient les circonstances

Puisque nous y sommes, continue-t-il, croisant les bras, comment se fait-il que le fier Bandersnatch ait été retrouvé dans un tel état ?

Dans le fond des yeux il a la colère qui rage sous le froid apparent ─ contre toi, contre lui, contre le monde entier.

Gronde encore, Balthazar, montre les crocs sous le regard impassible d'Elias, habitué à tes colères et à tes braises
Regard qui se durcit lorsque tu décris ta torture ─ ah, que tu as dû souffrir, quand on t'avait arraché ta seule fierté, ta seule arme ; ne t'es-tu pas senti si
f a i b l e ?
s’essuie simplement le pied sur l'herbe, malgré l'envie de te réduire encore à rien, puisque tu sembles si fort le souhaiter ─ non, laissons d'abord agoniser son ego avant d'encore le détruire, encore et encore, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, si ce n'est enfin une bête docile ; prend sur lui, Elias, soupire simplement, pendant que la rage boue encore ─ qui, pourquoi ? question auxquelles tu ne répond pas

Toi qui vacille et vomis encore, sur lui, ose t'essuyer avec ses vêtements ; mais cette fois Elias ne tolère pas cet affront et c'est le coup dans le ventre qui part avec force et sans prévention
(heureusement le mur est derrière toi et te rattrape de sa rude et froide étreinte)

Ne pensez même plus à refaire ça, Bandersnatch, dit-il, colère à peine contenue dans la voix pendant qu'on essuie tes connerie sur toi, sur ta peau comme sur tes vêtements
(puisse-tu bouffer ton vomi en passant, ça nous arrangerait)

Mais Elias n'en a pas fini avec toi, loin de là : non, bien trop de questions sont en suspens pour qu'il te laisse choir dans l'herbe pour être retrouvé le lendemain à moitié mort
il plante son regard dans le tiens, à bonne distance pour ne pas encore supporter un caprice

Qui.

Il a bien du mal à retenir la colère qui gonfle qui gonfle, submerge tout le reste et prend presque les commandes
Colère sourde colère froide colère contenue pourtant qui enflamme le regard de plus belle et qui se dessine dans la voix

Qui s'en est pris à vous ?

Qui a osé s'en prendre au chien qu'il est censé garder ? Qui a osé le défier ? Qui qu'il soit, il périra.

Misérable
Peut-être la seule chose qui pourrait te définir, toi et ta fierté vaniteuse
(de ta fierté il en fait un torchon sur lequel il s'essuie et piétine sans le moindre état d'âme
toi le chien galeux ayant volontairement régressé au stade de bête sauvage)

Et la fureur dans ton regard, ces grondements animaux encore, pourtant c'est l'insulte encore qui se déverse de ta bouche
mais si avant il aurait tout simplement ignoré l'insulte, tant tu en sortais quand tu en avais l'occasion
mais pas cette fois
pas sur elle
ah, plus jamais, non, on te laissera l'insulter à ta guise, ou tu devras en payer les conséquences ─ il a le regard qui s'assombrit, Elias, l'éclair assassin qui passe dans le regard ; vient coller un pied contre ton visage
(volonté de l'écraser l'écraser l'écraser si fort si fort qu'il ne restera plus rien de toi et ton ego mais on se retient)

Tu préfères que je te tutoie ? sourire malsain qui étire ses lèvres Soit, si tu te sens un peu plus respecté (rabaissé) comme ça.

Doux ton mielleux à notes dissonantes ; qu'il a mauvais goût sur la langue, ce tutoiement, qu'il est méprisant
(mais c'était là ce que tu avais voulu, non ?)
Réprime un soupire, Elias, à ton énième provocation, te repoussant simplement face à ton haleine nauséabonde ; ah Balthazar, nous ne sommes pas d'humeur à jouer à tes petits jeux puérils ─ on veut une réponse, simplement

Je ne suis pas d'humeur à jouer avec toi, mon cher ; je réitère, qui s'en est pris à toi ?

Un peu plus sérieux, cette fois - non, Balthazar, on n'entrera pas dans tes petits jeux car l'heure de jouer est passée depuis bien longtemps
(est venu l'heure des réponses aux questions qu'on se pose depuis bien trop longtemps)

Prend sur lui, Elias, ton irrespect constant, ton arrogance inutile ─ ah Balthazar, tu le paieras tôt ou tard, c'est qu'on se découvre bien de violents penchants à ta présence, bien de sadiques envie pour te détruire toi et ta fierté qui n'a lieu d'être
(comment pouvait-on être fier à ce point de n'être rien ?)

Je t'ai déjà dit que je n'étais pas d'humeur, Balthazar c'est que d'habitude, on ne t'appelle pas par ton prénom, et peut-être ne l'aurait jamais-t-on su si nos oreilles ne traînaient pas tu ne voudrais pas que je me répète encore une fois, tout de même ?

C'est qu'il n'a pas la patience de supporter tes caprices enfantins, ni même tes petits jeux ; non, il valait mieux pour toi que tu obéisse, de gré ou de force, comme tu étais destiné à le faire
(chien fou de la reine sans aucun droit si ce n'est celui de se taire et se soumettre)

Si tu aimes tant jouer, tu ne veux pas faire comme tous les autres chiens du monde et te contenter d'aller chercher les balles qu'on te lance au lieu de me poser des devinettes insipides ?

Volontairement blessant, Elias, car il sait que tu hais par-dessus tout qu'on vienne blesser son vain orgueil ─ mais il n'a pas de patience, le chasseur, ni l'envie de jouer au bon maître-chien
(mais l'a-t-il déjà été ?)
Il se prépare déjà à activer ton collier, car il sait que jamais tu ne laissera un tel affront à ta personne impuni

Pour la dernière fois, qui est suffisamment idiot pour venir s'en prendre à toi ?

Et cette fois, il ne se répètera pas.

Agaçant, Balthazar, incapable de faire ce qu'on lui demande sous prétexte de vanité ; ne cille pas, Elias, quand tu essaie de te faire intimidant ─ il lui suffisait de peu pour te remettre à ta place, tu sais
et tu es trop proche, Balthazar, affront supplémentaire lorsque tu oses ouvrir la bouche ─ cette fois le coup part, violent, en plein dans le visage
(ah Balthazar, n'apprendras-tu donc jamais ; estime-toi heureux qu'il n'ait pas enclenché le collier)

Tu reposes ta devinette, comme si les avertissements n'avaient pas suffit ; et peut-être aurait-il activé ton collier, si un début de réponse ne s'était pas installé dans son esprit avec les quelques indices cachés au sein de tes phrases
Qui oserait d'un claquement de doigt le transporter à l'autre bout de Wonderland
ne l'avait jamais vu de ses propres yeux, Elias, mais il avait de nombreuses fois entendu parlé d'un certain lapin allant et venant à son bon vouloir sans se soucier des distances entre lui et sa cible

... Le lapin blanc ? ose-t-il

Il ne voyait personne d'autre pouvant faire ça ; mais alors, pourquoi ? Il s'imagine, Elias, que la raison devait être bien grave, que dans ton immaturité tu l'avais provoqué

Et on peut savoir ce que tu es allé lui faire, pour qu'il t'en veuille à ce point ?

Oh Balthazar, pourvu que tu aies une bonne raison d'avoir été ainsi humilié

Tu te redresses mais Elias ne cille pas, essaie de te faire imposant mais lui n'est nullement impressionné ─ à ton sourire il comprends bien, Elias, qu'il avait visé juste
alors pourquoi ?
il s'imagine bien des choses, Elias, bien des situations que ton imbécilité aurait pu provoquer ─ et il y en avait tant
mais jamais il n'aurait pensé à la véritable raison derrière tout ça
jamais il n'aurait pensé que tu serais tombé si bas

Alors quand tu la lui annonces, la raison, il refuse de te croire, tu sais
tu es immature, idiot, impulsif ; mais au point de provoquer tout un incident pour une raison aussi basse, aussi primaire ?
Non, non, non, impossible
tu mentais, pas vrai ? Pour protéger un honneur inexistant, peut-être, il n'en savais rien ; passé la surprise son regard se durcit et croise les bras, Elias

Balthazar.

Voix calme mais derrière l'orage pourtant ─ vois-tu, il n'aime pas qu'on se foute ouvertement de sa gueule, et encore moins quand ça vient de toi

Je t'ai demandé de me donner les raisons de ton humiliation, pas de me confier tes fantasmes

Et tu sais pourtant, Balthazar, que même la patience d'Elias a ses limites ; et il n'apprécie pas qu'on joue avec