CARACTÈRE

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La curiosité est la meilleure amie de l'avidité.

Il y a fort, fort longtemps, existait un petit bonhomme aux cheveux de blé. Ce petit bonhomme est celui qui, plus tard, sera couronné petit prince. De son vivant, il était une personne calme, beaucoup trop calme même : c'est en effet à l'âge de 4 ans qu'il se révéla capable de former ses premiers mots. Le petit bonhomme passait la majorité du temps seul dans sa chambre, entouré de montagnes d'histoires pour mieux combler le vide qu'était la sienne. Parfois, les pages faisaient défiler au fil de l'encre des histoires de conquérants assez forts et charismatiques pour parvenir à faire battre à l'unisson le cœur d'une nation, d'autres de femmes tombant dans les bras d'hommes parfois bons, parfois mauvais, mais, quoi qu'il arrive, toujours ensorcelées par la maladie d'amour.

Il y avait aussi ces enfants vivants des périples improbables dans lesquels ils devaient affronter sorcières, géants et, très souvent, ce fameux loup accusé de tous les maux car les grandes personnes, elles aiment beaucoup blâmer la même personne pour ne pas avoir à chercher un autre coupable. Il y avait aussi ces belles amitiés, de celles que l'on retrouve encore aujourd’hui contées tant elles ont marqué les esprits. Ce sont toutes ces lectures qui ont données au petit bonhomme sa passion des récits et son désir d'en savoir plus, toujours plus, sur les vies de ses semblables. Mais il n'avait personne avec qui parler. Oh, il y avait bien Éclair, le labrador de la maison, pour faire la conversation mais, à cette époque, le petit bonhomme ne pouvait guère entendre les réponses de son ami canidé.

C'est ainsi que le petit bonhomme, maintenant prince, est devenu le blondinet que l'on connaît, toujours avide d'obtenir des réponses à ses questions, des anecdotes sur les grandes personnes et enfants croisant sa route. Le problème c'est qu'il tombe parfois sur des personnes qui n'ont pas particulièrement envie de lui raconter leurs aventures, ni répondre à ses interrogations. Ceux-là, ce sont en réalité les favoris du petit prince : leurs histoires doivent vraiment être incroyables pour refuser ainsi de les partager ! Ah ça oui, ça l'intrigue fortement ! C'est donc sans surprise que la malice prend possession de son esprit et qu'il se met à bombarder de questions son interlocuteur comme le ferait les grandes personnes du continent américain avec ceux vivants de l'autre côté de la carte. Il en devient alors très agaçant, comme l'un de ces fichus moustique vous tournant autour minuit passé.

La solitude, seule alliée devant l'adversité.

Comme évoqué précédemment, le petit bonhomme était un enfant qui n'avait pas grand monde avec qui discuter. J'aimerais pouvoir vous annoncer que depuis, cela a bien changé, qu'il s'est fait des milliers d'amis, a découvert la tendresse des baisers, la chaleur des accolades, la joie des rires brisant le silence des chaudes nuits d'été. Hélas, si je suis ici pour vous conter des histoires, cela ne signifie pas que j'aime raconter des bobards. Vous l'avez donc compris, la situation du petit prince n'a pas particulièrement évoluée malgré le nombre des années. Oh, oui, il a depuis quitté la chaleur réconfortante de sa chambre et pu rencontrer tout plein de grandes personnes, ce qui lui a donné pour un temps le sentiment d'appartenir à ce monde qu'il rêvait de fouler de ses jolis petits pieds.

Mais un beau jour, l'illusion se brisa et il réalisa avec stupeur qu'il n'avait pu apprivoiser personne malgré le grand nombre qu'est celui de ses rencontres. Tous n'étaient que des barques lui permettant d'avancer un peu plus sur les flots de la vie, mais pas un seul ne devint la solide embarcation dont il avait besoin.

Le petit prince est un enfant perdu, seul dans un navire partant à la dérive dans cette mer infinie. Lui-même ne sait pas ce qui a bien pu l'empêcher d'établir des liens profonds avec ces personnes devenues annotations dans les milliards de lignes composant sa petite histoire. Peut-être est-ce son comportement général en laissant plus d'un perplexe ? Ou cette tendance qu'il a de fuir les contacts physiques ? Son incompréhension clairement visible face à bien des registres de l'art de la blagounette ? Hum...

Ah ! Je pense avoir mis le doigt sur la raison de cette solitude : le petit prince ne fait confiance en personne, si ce n'est envers lui-même. Hum, non. Ce n'est pas qu'il est incapable d'avoir confiance en autrui mais plutôt que cette confiance, il l'a jadis offerte à beaucoup trop de mauvaises personnes. Ancien petit bonhomme crédule et naïf, c'est à force de voir les lames teindre son dos de rouge qu'il est devenu un petit prince méfiant et refusant de se laisser à nouveau apprivoiser.

Bien qu'il soit toujours un enfant candide au plus profond de son cœur rongé d'incertitudes , le petit prince sait depuis quelques années que la vie, si elle n'est déjà pas bien tendre avec lui, a au moins le mérite d'être moins perfide que l'humanité. Alors, lassé de se faire malmener, le petit prince a préféré faire marche arrière et porter son attention envers les seuls êtres vivants qu'il sait toujours sincère : les animaux. Oh, oui, il arrive aussi que des embrouilles surgissent dans le petit monde qu'est celui de la faune sauvage, mais au moins il n'y a pas de manipulation chez eux : c'est soit tout blanc, soit tout noir, comme avec les enfants qui, eux aussi, savent ce qu'ils veulent; ce qui nous mène au thème des lignes que j'ai maintenant à écrire.

Le mensonge et la perfidie, ses éternels ennemis.

Le petit prince est de ces individus mettant sur un piédestal la sincérité et détestant plus que tout les faux semblants. Cela se retranscrit de fait dans son comportement. Tout bonnement incapable de dissimuler ses pensées, le petit prince n'est point un exemple de diplomatie : quoi qu'il pense de vous, il ne prendra pas de gants pour vous le dire au risque de vous froisser avec ses mots qui, et c'est étonnant au vu de la candeur se dégageant de lui, peuvent se révéler aussi tranchants que le fil de son épée.

Cette sincérité, à la fois qualité et défaut, lui a collé une étiquette de fauteur de troubles irrespectueux durant ses années vagabondes. En voilà encore une belle contradiction des grandes personnes ! En quoi révéler à quelqu'un ses quatre vérités serait une forme d'irrespect ? La véritable injure ne serait-elle pas plutôt de le conforter dans l'idée erronée qu'il se fait de sa personne ? Ne savent-elles pas, ces grandes personnes, qu'il est toujours plus facile de juger autrui que de se juger soi-même ? Le petit prince a bien du mal à comprendre toutes ces règles implicites et en a assez de devoir fournir des explications. C'est fatiguant, pour un enfant, de toujours devoir expliquer les choses aux grandes personnes. D'après lui, ce sont sûrement des grandes personnes aimant mentir qui ont pris soin d'écrire ces vilaines règles.

Mais qu'à cela ne tienne, le petit prince se rassure en se disant qu'à la fin, tout cela n'aura plus la moindre importance.

L'inconnue amnésie.

Le petit prince, seul et perdu dans un univers taillé pour les grandes personnes, songe parfois à rentrer chez lui. Néanmoins, il fait face à un problème de taille dans cette quête : il a tout oublié de l'endroit où se trouve son foyer. Il n'a, qu'en de rares occasions, des flashs de ce lit dans lequel, il le sait, des larmes ont coulées. Il y a aussi ces quelques images lui revenant d'un chien bienveillant qu'il aimait prendre dans ses bras lorsque la vie lui faisait encore une fois comprendre qu'elle ne l'aimait pas. Ou encore cette vision d'un homme lui contant des histoires et lui caressant le crâne avec douceur. Enfin, il y a cette forme floue et sans visage d'une femme. Sa mère qui... Qui... Il ne se souvient pas. Ne pas se souvenir lui fait mal, il n'en peut plus d'oublier. Alors, quand ces bribes de mémoire remontent, le petit bonhomme devenu prince sent les océans s'échapper du bleu de ses yeux.

Un jour, un animal lui a dit qu'on ne voyait bien qu'avec le cœur.
Logan, pour sa part, n'arrive plus à voir autre chose que du noir.


TW : Bien que je ne rentre pas dans les détails, cette histoire aborde plusieurs thèmes sensibles tels que le handicap mental, la maltraitance, la mort, la drogue, l'inceste et le suicide.


L’histoire du petit bonhomme débute dans les années 70, pendant que la neige s’abat quelque part dans l’ouest de la France. Sa mère, la vingtaine, est une belle blonde aux yeux gris. Elle est accompagnée d’un homme à la chevelure dorée et aux yeux ambrés se situant dans la même tranche d’âge. Ce dernier resplendit de bonheur en apprenant que le bébé se porte bien malgré plusieurs complications, la plus importante étant un manque d’oxygène qui aurait pu lui être fatal.

La femme ne semble pour sa part ne pas partager la joie de son amant; elle pourrait même avoir l’air déçue en apprenant la bonne santé du bambin. Exténuée, elle refuse de prendre dans ses bras le nouveau-né et laisse au jeune adulte le soin d'accueillir l’enfant dans ce nouveau monde. Le jeune adulte devenu père, bien que déçu par la réaction de celle qu’il aime, regarde avec fierté celui qu’il surnomme alors son petit bonhomme. La nouvelle mère en profite pour détourner le regard et ignorer cet être à qui elle vient d’offrir la vie. Le père se dit qu’elle est probablement de mauvaise humeur suite à la fatigue et à la peur suscitées par l’accouchement. Il avait tort.

Cela faisait maintenant 6 mois que le petit bonhomme était né et sa mère refusait toujours de le nourrir au sein, d’ailleurs, elle était toujours aussi récalcitrante à l’idée de s’en occuper. C’était donc au père et à la mère de ce dernier que la tâche d’éduquer le petit bonhomme incomba et, s’il était au départ compréhensif, le jeune adulte ne tarda pas à confronter sa chère et tendre. Il ne comprenait pas comment elle pouvait aussi délibérément rejeter cet enfant né de leur amour. La tension monta et c’est après plusieurs minutes de débat que la mère éclata en sanglots et déclara qu’elle ne pourrait jamais aimer cet enfant. Elle quitta l’appartement quelques semaines plus tard et déménagea dans un lieu où elle allait pouvoir se reposer, loin de cet enfant qu’elle refusait de regarder dans les yeux.

Les semaines s’écoulèrent, suivies non loin par les mois et enfin les années.



C’est à l’âge de 4 ans que le petit bonhomme et son père apprirent qu’il était un enfant hors norme, et ce dans le mauvais sens du terme. Oh, certes, il avait quelques difficultés à se déplacer et ses premières paroles étaient encore récentes, mais son père ne s’attendant pas à apprendre un verdict qui se veut aussi simple que brutal : le petit bonhomme souffrait d’un retard mental. Le père ne comprenait pas, arguant que son fils n’avait pourtant rien de l’image que l’on peut se faire d’un attardé : il était beau, lui. Que voulez-vous, les clichés ont la vie dure. Concernant le pourquoi du comment, il y avait deux pistes plus probables que les autres.

La première, qui était aussi la plus simple, était le manque d'oxygène dont avait souffert le petit bonhomme à sa naissance. La seconde, plus complexe, provenait de la grossesse inhabituelle de sa mère : celle-ci avait souffert d’un déni de grossesse et c’est au septième mois qu’elle avait réalisé être enceinte. Sept mois durant lesquels elle avait poursuivi la consommation de divers éléments ayant pour objectif de détendre le consommateur. En apprenant la nouvelle, la mère du petit bonhomme resta interdite plusieurs secondes. Elle posa ensuite son regard sur ce fils qu’elle avait si longtemps ignoré et l'enlaça. C’est à cette occasion que le petit bonhomme prononça pour la première fois le mot maman.

Trois ans plus tard, le petit bonhomme avait fait quelques progrès : il pouvait maintenant marcher sans (trop) trébucher et construire des phrases afin d’être plus ou moins compris par son entourage. Il montrait également une grande curiosité pour les livres, bien qu’il était incapable de les lire par lui-même. Papa aimait beaucoup lui raconter des histoires. Il en avait même écrit une rien que pour lui ! Dans l’histoire de Papa, le héros était un jeune chevalier aux longs cheveux blonds se prénommant Logan. Il parcourait les terres d’un monde fantastique à la recherche d’une puissante épée magique capable d’abattre le terrible dragon menaçant les terres de la reine. Bien que simple, cette histoire ne cessant de s’étoffer au fil des soirées était l’une des favorites du petit bonhomme. Il aimait s’imaginer qu’un jour, lui aussi, il pourrait parcourir le monde et rencontrer tout plein de créatures fantastiques. Ce que Papa n’avait pas dit, c’est que toute histoire a une fin, y compris la sienne.

C’est peu après le nouvel an que Papa s’en alla dans un endroit d’où l’on ne revient pas. Il était parti dans les flammes en essayant d’aider un enfant et sa mère à sortir des décombres. Oui, en plus d’être le meilleur conteur de toute la planète, Papa était aussi un sapeur pompier. Malheureusement, être le meilleur papa du monde ne vous rend pas pour autant immortel. Son petit bonhomme avait du mal à comprendre pourquoi Papa ne reviendrait pas. Il lui avait pourtant dit que la semaine prochaine, Logan allait faire quelque chose de surprenant pour vaincre le vilain troll des plaines. Le petit bonhomme demanda donc à Grand Mamie s’il avait fait quelque chose de mal et si Papa le boudait. Grand Mamie pleurait trop pour qu’il comprenne la réponse. Maman aussi était en pleurs. Le petit bonhomme en avait assez de voir les gens pleurer et souhaitait juste voir Papa rentrer.



Le petit bonhomme avait maintenant 10 ans. Grand Mamie était partie rejoindre Papa après qu’elle décide de s’en aller par ses propres moyens suite à ce que les grandes personnes appellent une “grosse dépression”. Le petit bonhomme avait beaucoup plus pleuré cette fois car après le départ de Papa, il savait maintenant ce que ça voulait dire de ne plus avoir la possibilité de voir quelqu’un que l’on aime. Quoi qu’il en soit, Maman était dorénavant la seule personne avec qui le petit bonhomme vivait. Maman n’était pas une personne aussi attentive et câline que Papa et Grand Mamie, ce qui perturbait beaucoup le petit bonhomme. Heureusement, il avait appris à lire entre-temps (même s'il ne comprenait pas tous les mots) et avait même la permission d’emprunter les romans que Papa avait laissé en partant au Paradis. Et il y avait également Éclair pour le soutenir. Éclair, c’était un bon gros toutou, mi-labrador mi-bâtard, que Grand Mamie avait recueilli peu avant son départ. Maman avait décidé de le garder, peu encline à voir cette brave bête se faire piquer car, bien que froide et distante avec le petit bonhomme, elle aimait beaucoup les animaux. Le blondinet s’était rapidement lié au canidé, trouvant en cette grosse boule de poils l’affection que plus personne ne lui donnait.

C’est sans surprise lorsqu’il devait sortir de chez lui que le petit bonhomme était le plus triste. Il avait souvent droit au jugement des grandes personnes lui servant de professeurs, il pouvait alors entendre qu'il ne devrait pas passer son temps la tête dans ses bouquins et se faire des amis. Le petit bonhomme en était arrivé à penser que les grandes personnes sont régulièrement prises de perte de la vision et de l’audition car c’est au moins ce qu’il fallait pour ne pas remarquer que ses camarades ne trouvaient rien de mieux à faire avec lui que le frapper et l’insulter. Le petit bonhomme avait compris que les autres enfants ne voulaient pas fréquenter un “débile mental”, quoi que cela veuille dire. Il parvenait cependant à relativiser la situation car même si ses camarades étaient méchants avec lui, ils ne frappaient pas aussi fort que Maman.



Tout avait commencé il y a un peu plus de 2 ans, après qu’il ait demandé à Maman comment elle avait rencontré Papa. Il ne se souvient plus de tout ce qu’elle a dit ce soir-là, mais il se souvient des coups qui ont suivi après qu’il se soit mis à pleurer suite à la première gifle. Depuis, il arrivait que Maman décide de s’en prendre au petit bonhomme s’il avait le malheur de dire quelque chose pouvant la contrarier. Et certains soirs, lorsqu’elle avait bu beaucoup de boisson pour les grandes personnes, un seul regard du petit bonhomme suffisait à déclencher le courroux de Maman. Elle lui hurlait alors que tout était de sa faute, qu’il n’aurait jamais dû naître, qu’elle ne supportait pas de voir “son regard” à travers le sien.

Les 3 années suivantes restèrent très similaires, à ceci près que Maman frappait parfois plus fort qu’auparavant. Mais ce n’était pas grave pour le petit bonhomme : lui, il aimait Maman, alors s’il devait souffrir pour qu’elle se sente mieux, il n’avait rien à y redire. Mais un jour, un groupe de grandes personnes avec une bonne vue et une bonne audition vinrent rendre visite à lui et sa mère. Plusieurs témoignages des voisins et professeurs laissaient entendre que Maman abusait du petit bonhomme et le fait qu’il ne vienne plus en cours tira la sonnette d’alarme.

Après quelques semaines d’examens et démarches administratives, le petit bonhomme se retrouva séparé de Maman et Éclair. Il ne comprenait pas pourquoi on brisait ainsi sa famille, ni pourquoi il devait quitter sa maison, ses livres et son toutou si doux. Il avait peur de perdre la dernière personne qu’il aimait. Néanmoins, le petit bonhomme se trompait sur un point : lui qui pensait ne plus avoir que sa Maman, sa surprise fût immense lorsqu’il apprit l'existence d’une autre Grand Mamie et même celle d’un Grand Papi.



Une fois arrivé chez les parents de Maman, le petit bonhomme ne se sentit pas vraiment à son aise. Certes, ces deux vieilles personnes étaient de sa famille, mais il ne connaissait rien d’eux. Même le boulanger désagréable chez qui il avait l’habitude d’acheter du pain depuis l’enfance lui donnait l’impression d’être plus intime. Peut-être parce qu’il s’était déjà pris une paire de claques de sa part le jour où il a tenté de dérober subtilement une poignée de bonbons ? Qui sait. Quoi qu’il en soit Maman ne parlait jamais de sa vie d’avant Papa.

Le petit bonhomme resta donc silencieux pendant que tout un tas de grandes personnes discutaient de son avenir et d’autres choses dont l’intérêt lui semblait proche du néant absolu. Les livres attiraient beaucoup plus son attention, surtout ceux avec des photos de Maman plus jeune. Le petit bonhomme devinait sa seconde Grand Mamie et Grand Papi dans les traits des deux adultes occupants la plupart des photographies, mais il y avait un autre homme apparaissant aux côtés de la famille. Cet homme était un homme de taille moyenne aux cheveux châtains et aux yeux bleus.

Quelques jours plus tard, le petit bonhomme était un peu plus habitué à son nouvel environnement ainsi qu’à ses grands-parents maternels. À force de conversations, il put en apprendre beaucoup plus sur le passé de Maman. Il savait maintenant qu’elle avait jadis comme ambition de devenir ballerine. Une autre information inédite pour le petit bonhomme fut d’apprendre que Maman connaissait Papa depuis l’enfance : c’était le fils du voisin ! Enfin, Grand Papi lui expliqua que l’inconnu sur les photographies n’était autre que le grand frère décédé de Maman. Il était très protecteur envers elle malgré une différence d’âge d’une dizaine d’années. Au fil des discussions, la seconde Grand Mamie, à l’esprit quelque peu embrouillé, faisant souvent la même remarque au petit bonhomme : d’après elle, le petit bonhomme avait le même regard que son fils.

À ces paroles, le petit bonhomme se demanda si Maman détestait également les yeux de son défunt frère.


Deux ans passèrent. Le petit bonhomme avait pris quelques centimètres de plus mais son âge mental n’avait pas bougé d’un pouce depuis ses 10 ans. Peu malin mais doué de ses mains, les grandes personnes qui s’occupaient de lui bâtir un avenir lui proposa de faire un stage chez le garagiste du coin. Le petit bonhomme n’était pas particulièrement doué mais il restait avide d’en apprendre plus sur la mécanique. Son objectif ? Devenir le mécanicien le plus doué de toute la France et réparer des avions ! Bon, il faudrait peut-être qu’il commence à retaper autre chose que des mobylettes, mais ce n’était qu’une étape pour accomplir son rêve ! On commence toujours petit et un jour, on est au sommet !


Un an plus tard, le petit bonhomme souffre atrocement. Il reste plusieurs minutes stoïque et ce n’est qu’une fois seul dans sa chambre qu’il craque. Les larmes inondent ses yeux tandis que ses phalanges se tâchent de sang à force de rencontrer la dureté du mur, il hurle et s'écroule au sol en pleurs.
Hier soir, Maman est morte.
C’est sa faute.
Il n’aurait pas dû lui rendre visite, on le lui avait interdit.
Mais il n’avait pas écouté, trop têtu qu’il était.
Tu n’es plus un petit bonhomme, Olivier.
Tu es un orphelin et tout ce que tu souhaites maintenant, c’est retrouver tes parents.


Trois mois plus tard et malgré les efforts de son bien aimé Éclair, Olivier est toujours au plus mal.

Une fois Maman et Papa réunis sous la pierre tombale, il prit la décision de quitter le foyer de ses grand-parents ainsi que son poste d'apprenti-mécanicien. Il dit avoir besoin d’une année sabbatique et s’en va errer sur les chemins de France avec Éclair à ses côtés. Il apprend à dormir à même le sol afin de ne pas dépenser ses maigres économies. Il préfère de toute façon utiliser ses quelques sous pour nourrir son fidèle compagnon plutôt que de se remplir l’estomac.

Avec le temps, il s’habitue aux personnes que le monde préfère oublier.
Ceux qui vivent dans la rue, dans les squats et les caravanes. Parmi eux, certains sont des hommes qui ont perdus familles et emplois, d’autres des marginaux refusant de se soumettre à la société ou encore des immigrés qui, en quête d’un avenir meilleur, loin de la guerre, finissent dans les taudis d’un pays se foutant qu’ils vivent ou crèvent.

Beaucoup ont pour béquilles l’alcool et la drogue et Olivier, suite aux conseils de quelques serpents, se met à ce qu’ils appellent la cannabis. Après quelques semaines, il finit par s’habituer aux effets. La weed ne suffit plus à effacer sa douleur. Alors il décide de prendre quelque chose de plus fort. Mais ça ne suffit toujours pas. Il en a assez de souffrir, il faut qu’il trouve de quoi apaiser sa peine. Alors il s’enfonce dans sa quête de l'oubli et s’obstine encore et encore. Mais ça ne suffit pas.

La rue et la malnutrition creusent ses joues.
Mais lui, il s'en fout.


Début juillet, Éclair s’est éteint.
Il faut dire qu’il était déjà adulte lorsque Grand Mamie l’avait adopté.
La douleur se mêle à la faim pour dévorer les entrailles du jeune blond.
Il en a assez.


Fin juillet, Olivier observe le ciel, une seringue enfoncée dans la cheville afin de ne pas être tout de suite foudroyé par le poison qu'il s’injecte dans les veines. Il aperçoit une étoile filante et se dit que ça doit être agréable d’aller et venir aussi rapidement. Tout le monde t’observe, flamboyant de lumière, et l’instant d’après, tu disparais dans le calme absolu, sans plus de cérémonie, laissant un sourire sur les lèvres de tes admirateurs.

Il aurait pu apprécier une telle vie.

Ah, voilà qu’il sent le froid se répandre petit à petit dans ses veines.
Le petit bonhomme avait peur en sentant la vie quitter son corps. Il s’inquiétait pour Grand Papi et sa seconde Grand Mamie. Il aurait aimé leur dire, lors de son départ, qu’il ne pensait pas revenir. Il aurait dû leur dire qu’ils devraient passer les dernières années de leurs vies sans se soucier de lui.

Qu’importe, il n’y avait plus que lui et le ciel étoilé.
Avant de fermer les yeux une dernière fois, il sourit en apercevant les visages de Papa et Maman.

Enfin, ils allaient être réunis.


“Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai…”


Olivier se réveilla dans une forêt ne ressemblant en rien à celle qu’il empruntait enfant, lors de ses promenades avec Éclair. Déboussolé, il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait ici. Inquiet, il s’empressa de chercher de l’aide, ce qu’il ne tarda pas à trouver malgré quelques difficultés à se repérer dans ces bois à l’humeur changeante. On lui expliqua alors la situation, qu’il était ce que les natifs de ce monde nomment une Alice. Elles arrivaient toujours par cette étrange forêt et bien que le phénomène n'était pas très commun, il y avait déjà beaucoup de gens comme lui répartis à travers les terres de Wonderland.

La situation lui faisait penser à un roman sorti il y a quelques années, à ceci près qu’il ne pensait pas avoir été transporté dans un livre et qu’il n’y avait pas le moindre signe d’un dragon porte bonheur pour lui venir en aide. Il ne se souvenait pas non plus avoir été embarqué ici par un enfant en conflit avec son ombre.

De son vivant, il pensait que le baiser de la mort lui permettrait de rejoindre ceux qu’il a perdu, mais ça, Olivier l’avait oublié. Quoi qu’il en soit, il était maintenant seul, perdu au pays des merveilles. Les premiers jours, il se demanda si tout cela n’était pas qu’un rêve dont il ne parvenait pas à s’échapper mais, après réflexion, cela ne semblait pas cohérent : c’était un lecteur assidu mais certainement pas un créateur; cette chimère ne pouvait être la sienne.

Quoi qu’il en soit, ce qui était d’abord une idée devint rapidement pour lui une obsession : il devait retrouver Maman.


Le temps est une chose somme toute relative au pays des merveilles. Olivier ne sait plus vraiment depuis combien d’années il cherche sa mère, intimement convaincu qu’elle se trouve elle aussi dans ce monde détraqué. L’énergie insufflée dans ses recherches lui permet d’en apprendre plus sur les terres de ce monde et ses habitants. Ses rencontres lui permettent d’apprendre à se défendre, mais il y perd également de sa personne. Au départ candide et curieux, la malhonnêteté des gens poussa Olivier à devenir plus méfiant et pragmatique. Il n’avait plus de temps à perdre avec les humains, alors il décida de ne converser qu’avec les animaux.


Tu n’y croyais plus mais voilà qu'après toutes ces années, tu étais récompensé ! Elle est là, assise au bar ! Le même visage, la même voix, aucun doute, cette femme est Maman !  Certes, beaucoup de tes souvenirs sont flous, mais jamais tu ne pourrais oublier la personne que tu aimes plus que tout au monde !

Alors, malgré le stress te tiraillant les tripes, tu l’abordes, fébrile.
Tu rêvais tellement de ces retrouvailles avec Maman et Pa… Et P…
… Hum. Tu ne sais plus qui tu voulais revoir en plus de Maman, mais si tu n’en t’en souviens pas, c’est que ça ne doit pas être quelqu’un de si important.

Tu te lances et...
Tu ne comprends pas. Pourquoi Maman ne te reconnaît pas ?
Non. Non. Non non non non. NON !
Elle n’a pas le droit de te faire ça ! Elle n’a pas le droit de te trahir ainsi !
Maman ne peut pas être quelqu’un d’autre que Maman ! Maman n’a pas pu t’oublier ! Pas pendant que toi, tu te démenais à la retrouver pour, enfin, être aimé !

Tu en as assez.
Tu as été gentil beaucoup trop longtemps avec cette femme qui, tout au long de ta vie, n’a ressentie que du dégoût à ton égard !

Tu fulmines. Ton cœur d’enfant ne supporte plus la douleur. Alors ton amour déçu se transforme. Tu la hais. Elle va payer pour t’avoir oublié. Tu tends la main vers ton épée, décidé à te venger. C’est tout ce qu’elle mérite !

Pourtant... Tu ne dégaines pas.
Malgré cette ultime trahison, tu es incapable de lui renvoyer la douleur qu'elle t'a fait subir. Même si tu la détestes, l'adoration que tu éprouves pour cette mère indigne refuse de s'en aller.

Tu décides de partir et la laisser refaire sa vie.
Maman a toujours dit qu’elle serait plus heureuse sans toi.


Quatre années plus tard, un oiseau de mauvais augure lui apprend qu’elle n’est plus de ce monde. À cette nouvelle, les larmes ne coulent pas. Il remercie le volatile en lui offrant quelques vivres puis retourne à l’entretien de son feu de camp, pensif.

Il essaie plusieurs longues minutes de retracer ce qu’était sa vie avant d’arriver au pays des merveilles. Rien ne lui vient. Ah, il est si fatigué…

Tu en as assez fait, Olivier.
Il est l’heure d’aller dormir.


À son réveil, le Petit Prince est très surpris : ne devrait-il pas se trouver dans le désert ? Que peut-il bien faire là, aux abords d’une grotte, près d’un tas de bois carbonisés ? Et c’est quoi cette odeur ? Mais… Mais oui, c’est lui qui sent le fauve ! Berk ! Depuis combien de temps traîne-t-il ici ?Il a besoin d’une bonne douche ! C’est important l’hygiène ! Il faut vite qu’il trouve de quoi se laver avant de croiser la route de quelqu’un et faire mauvaise impression ! La bienséance exige de se présenter convenablement !

Ah, maintenant qu’il y pense, il faut un nom pour se présenter et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n’a aucune idée de qui il est ! Rien, nada, peau d’zob ! Ce serait vraiment gênant de croiser quelqu'un maintenant alors qu’il n’a aucun nom à fournir !

Allez, concentre-toi Petit Prince ! Des noms, ce n’est pas ce qui manque en ce bas monde, il faut juste que tu trouves le tien ! Allez, creuse toi la tête, il doit bien y avoir un indice dans le néant te servant de caboche ! Hum...Voyons, qu’est-ce que tu transportes avec toi ? Une épée ? Tu dois être un chevalier ! Quoi que, un chevalier sans cheval, c’est particulier. Et il n’y a pas la moindre trace d’un château dans les alentours !

Bon, oublions ça et cherchons quelque chose du même calibre. Réfléchis Petit Prince ! Si tu es armé d’une épée et que tu vagabondes, c’est que tu dois être… Un aventurier ? Ouais, ça sonne bien ça, aventurier ! Bon, il te faut un nom maintenant ! Voyons… Peut-être… Joe ? Non. Non non non. Tu finiras par te ramasser le sobriquet de Joe le clodo, ce serait terrible ! Allez, trouve autre chose ! Peut-être un prénom en O ? O, o,o… Orion ? Mouais, non, ça fait prétentieux. Trouve autre chose. O, o, o, o… Lo ? Lo lo lo lo lo… Logan ? Logan. Logan ! Oui !  En voilà un nom qui sonne bien pour un aventurier qui fait des trucs de… Bah euh… D’aventurier !

Très bien, c’est décidé, à compter de ce jour, tu seras Logan, le Petit Prince aventurier !


Le Petit Prince vagabonda un bon petit moment à Wonderland tout en ignorant complètement les affaires de pouvoir. Au cours de ses voyages, il remarqua que beaucoup de gens avaient un second prénom et même un nom de famille ! Il trouvait ça vexant de n’avoir qu’un prénom pour lui, alors, sur un coup de tête, il prit la décision que lui aussi aurait plus qu’un simple prénom ! Après un long débat de 3 minutes entre lui et lui-même, le blondinet décide de prendre pour second prénom Owen. Le prénom Olivier fait également écho en sa personne mais, honnêtement, il le trouvait beaucoup trop déprimant !

Maintenant, il avait besoin d’un nom de famille.
Huuuum… Rien à faire, malgré 10 bonnes minutes à réfléchir, il ne trouve pas quel nom pourrait lui convenir. Bah, tant pis, il finira bien par s'en dégoter un, il a du temps devant lui !


Le Petit Prince était toute chose : lors d’un tournoi auquel il avait pris part pour financer ses voyages, un lieutenant du royaume d'ivoire avait remarqué ses talents à l’épée et l’avait recommandé à la Reine Blanche ! Pour quoi faire exactement, il n’en savait rien, mais c’était peut-être l’occasion pour lui de prouver sa valeur et peut-être même être fait chevalier ! Concernant la reine, il avait déjà entendu parler d’elle mais ne savait pas vraiment quoi en penser : il n'a jamais été du genre à se fier aux rumeurs. Peut-être qu'elle était toute aussi atteinte du ciboulot que sa sœur la Reine de Cœur ? Il n'en savait rien mais qu'importe, l’avenir le lui dira.


Le Petit Prince est partagé.
Contrairement à ce qu’il pensait, ce n’est pas pour faire de lui chevalier qu’il avait été invité au palais de la Reine Blanche. Pourtant, il avait passé tout plein de tests afin de démontrer ses capacités. Ceci étant dit, le poste que l’on souhaite lui accorder semble tout aussi prestigieux, si ce n’est plus, que celui de chevalier.

Gardien de la fontaine aux vœux, et, par extension, de l’épée Vorpal.

D’un côté, Logan voulait prouver sa valeur en tant que chevalier et défendre les habitants un peu trop paisibles du royaume immaculé, de l’autre, l’idée de se voir attribuer un poste aussi important ne lui déplaisait pas. Le problème était de savoir s’il en était réellement digne. Il ne se considérait pas comme un sujet de la reine et la trouvait plus louche qu’autre chose, à prôner la paix et la bonté tout en guerroyant avec sa propre sœur.

Le Petit Prince pesa le pour et le contre pendant 10 très très trèèèès longues minutes. Verdict : il accepta car, à défaut d’avoir pleinement confiance en cette Reine la mettant mal à l'aise, il pourrait au moins empêcher les ennemis de la paix de mettre la main sur l’arme la plus importante du royaume. Qui sait, peut-être qu’il pourrait même finir par la brandir un jour afin d'apporter une paix éternelle au monde de Wonderland !


Logan ne comprenait pas. Ou plutôt, il refusait de comprendre.
Qu’est-ce qui pouvait pousser un objet inanimé à se mouvoir de son plein gré ?
Et, plus important, si cette Vorpaline peut aller et venir au gré de ses envies, à quoi bon l'engager comme gardien ? Le Petit Prince pensait que son rôle était de la défendre des misérables souhaitant la dérober à la Reine mais il était évident qu'elle n'avait pas besoin de lui pour cela.

Avait-il fait quelque chose de mal ? La lame vorpaline le jugeait-il indigne de la défendre ? Bon sang, il avait juré sur l’honneur de la protéger au prix de sa vie et tout cela pour quoi, exactement ? Veiller sur une fontaine dont tout le monde se fiche et un stupide fourreau vide ?

Tu souffres, Logan.
En bon enfant candide, tu pensais avoir trouvé ta place dans ce monde dérangé.
Tu te disais avoir un rôle à jouer, une certaine valeur sur cet échiquier.
Mais tu n’es qu’une pièce rapportée, un pion juste bon à être sacrifié.
Tu n’aurais pas dû te laisser apprivoiser.

Cette sensation d’être abandonné, tu ne la connais que trop bien.
C’est la même que tu ressentais avec Maman.

Minute.
Qui est Maman ?


Depuis son arrivée au royaume d'ivoire, quelques dates étaient déjà passées et, bien que désenchanté par le nombre des années, Logan n’a jamais laissé à un autre l'occasion d'interpréter son rôle.

Fidèle à son devoir, il réside encore et toujours aux alentours de la fontaine aux vœux. Si vous l’y croisez, il sera probablement engagé dans un débat endiablé avec des animaux qu’il vous dira être ses amis. S’il n’est pas présent sur les lieux, deux explications s'offrent à vous. La première, le devoir de répondre à une requête de ses supérieurs hiérarchiques. La seconde, l'ennui et la curiosité le poussant à aller à la rencontre des natifs, alices et entités apparus depuis sa dernière garde.

Cependant, l'enfant devenu gardien refuse de se rendre au palais de Marmoreal, à moins d'y être expressément convoqué par décret royal. La Reine Blanche, le Roi, le Chevalier Blanc et le Champion, tous éveillent en lui des émotions qu’il préfère taire.

De toute façon, il a depuis quelques temps appris sa leçon :
Personne n’a besoin d’un Petit Prince.